jeudi, mars 27, 2008

Siddhârtha Gautama (Bouddha)


Soyez à vous mêmes votre propre refuge. Soyez à vous mêmes votre propre lumière.^[Bouddha]


Mon action est mon seul bien, mon action est mon héritage. [Bouddha]


La compassion chez Bouddha & Schopenhauer.

INTRODUCTION

Le bouddhisme est un moyen de salut (sotériologique[1]), ouvert à tous, et dont la réalisation ne dépend ni de la foi ni de la grâce divine, mais de la compréhension de la réalité profonde des choses. Cette compréhension ne peut être obtenue, dit-on, qu’à l’issue d’une profonde préparation morale et psychologique. Le salut consiste en un état de béatitude tant que dure la vie et de non-renaissance lorsque cette dernière arrive à son terme. Il s’agit d’un but que se donnent les individus et qui, pour l’essentiel, ne dépend pas de la culture à laquelle ils appartiennent. Mais en essayant de comprendre le monde (qu’en dernière instance le vrai bouddhiste cherche à quitter), le bouddhisme a transporté tout au long de son voyage à travers les siècles une partie du bagage culturel hérité de ses origines indiennes. L’élément le plus important de cet héritage est constitué par l’institution centrale du bouddhisme, l’ordre monastique (Sangha). Une connaissance même sommaire de ses antécédents indiens permettra de mieux comprendre cette institution ainsi que divers autres aspects du bouddhisme. C’est pourquoi, nous définirons certains concepts de base (comme les cinq agrégats et de la production conditionnée, etc.) qui sont des éléments essentiels de la vision bouddhique de la réalité profonde des choses, en expliquant de façon succincte dans quel contexte prêcha le bouddha Gautama et à la fin, je ferai un petit survol et des liens subtils avec un philosophe allemand très érudit des traditions orientales et bouddhiques et j’ai nommé : le Grand Arthur Schopenhauer!

DÉVELOPPEMENT

De prime abord, le bouddhisme émergea autour de la vallée de l’Indus par « les Aryens ». Mohendo Daro et Harrapâ, sont les deux grandes cités de la vallée de l’Indus, ils étaient construites autour d’une gigantesque citadelle et à cette époque le brahmanisme était la religion principale, mais le bouddhisme viendra contre-carré et défaire cette popularité du brahmanisme puisqu’elle apportera « un vent de renouveau et de fraîcheur en Inde, car elle n’est pas d’accord avec le système de castes et de l’élitisme brahmanique. Il y’ aura donc un syncrétisme de la culture Dravidienne et du pouvoir des brahmanes, mais sans toutefois contester l’autorité des brahmanes, les Upanisad proposent une interprétation symbolique de l’acte rituel. Mais c’est au VIe siècle av. J.-C. qu’une effervescence religieuse vient contester l’autorité établie et proposer des pratiques de rechange, possiblement inspirées par celles qui prévalaient avant l’invasion aryenne. Le jaïnisme et le bouddhisme sont deux des mouvements rebelles qui s’opposent à la structure socioreligieuse de l’époque en rejetant le pouvoir des rituels et par conséquent, l’autorité des brahmanes et celle des textes védiques. En bref, c’est deux cultures qui s’opposent mutuellement…
Alors, Siddhârta Gautama qu’on surnomme le bouddha (l’Éveillé) naquit de parents ksatriya dans un petit village du Népal actuel, appelé Lumbinî. Siddhârta était un prince et fut élevé dans « le coton » n’ayant jamais vu la misère et la souffrance que son peuple endure, car il n’a jamais outrepassé les limites de son palais puisque tous ses désirs étaient comblés de l’intérieur. Désirant un héritier, le père de Gotama voulait que son fils suive ses traces. Pour éviter que son fils n’abandonne la vie mondaine afin de s’engager sur la voie radicale de l’ascétisme et de la renonciation, il tenta d’exclure de la vie de Gotama tout ce qui pourrait stimuler son désir d’entreprendre une quête spirituelle. Le cocon protecteur tissé par son père lui avait permis de grandir sans jamais être exposé à la maladie, à la vieillesse et à la mort. D’après la tradition bouddhique, le jour de la naissance de Râhula (empêchement) qui était son cousin fut décisif pour l’orientation de Gotama, car, pour la première fois, il s’aventura hors des limites du palais. Lors de sa brève aventure, Gotama fut témoin de quatre scènes. D’abord, il croisa un homme gravement malade, ensuite il rencontra un vieillard au crépuscule de sa vie, puis il vit un cadavre en putréfaction allongé sur la route. Et sa quatrième vision; c’est celui d’un « moine serein » qui se promenait joyeusement et allègrement sur le chemin… c’est à partir de cela, qu’il décida de devenir un ascète, car maintenant, il se demandait : « À quoi bon vivre si le corps doit inéluctablement devenir malade, dysfonctionnel et mourir? Y” a-t-il une solution à cette inhérente souffrance existentielle? Et comme nous le savons, c’est à partir de la quatrième vision et surtout à cause de son insatisfaction vis-à-vis de son existence humaine, qu’il décida de devenir un ascète parce que le moine rencontré précédemment était serein malgré tous les souffrances, maladies, douleurs et la mort que le monde contient malheureusement et véritablement!
Et, cette dernière vision fut très inspirante pour le futur représentant du bouddhisme traditionnel. Ensuite, dans la psychologie bouddhique ; l’on retrouve les cinq agrégats qui sont les seuls constituants de l’individu : il y a la matière (rûpa) qui est le corps physique ou porte sensorielle, ensuite il y a les sensations (vedanâ) et c’est subjective après on retrouve la reconnaissance ou (perception) qui est (la sannâ) pour l’interprétation, ensuite il y a les activités karmiques (sankhâra) qui sont les types de réaction et la conscience (vinnâna) qui est toujours reliés à un sujet ou à la matière parce que dans la psychologie bouddhiste : la conscience n’est jamais seule ou conscience pure. En bref, les cinq agrégats sont liés à la doctrine de la production conditionnée bouddhique. La tradition Mahayana fut « très populaire et subversive »; après la mort du Bouddha alors, le premier concile a eu lieu à Rajagraha (un an après la mort du bouddha, i.e. 486 avants J.C.). D’ailleurs, il y a eu de nombreux schismes dans cette tradition, mais le troisième concile se déroula au Asokârama de Pataliputta sous le règne du roi Ashoka. Mahinda, le fils d’Ashoka, aurait propagé la religion bouddhique vers le Sri Lanka et plusieurs autres émissaires auraient propagé la religion vers l’ouest et vers l’est, possiblement jusqu’en Birmanie. Alors, c’est ainsi que le bouddhisme se propagea à travers le continent et eu de nombreux « fervents et pratiquants » parce qu’elle n’est point dogmatique et acceptera même les femmes dans la communauté monastique (Sangha) ce qui est nouveau en Inde puisque nous savons que « les brahmanes » fonctionnaient en « système de castes » et que les femmes étaient toujours subordonnées à une présence masculine. Dans le bouddhisme ; l’on pratique les méditations (tantrisme, brâvana, sutta etc.) la prière et c’est une mode de vie spirituelle axée sur le moment présent- « car quoi que vous fassiez, vous devriez être pleinement attentif et conscient de votre acte à l’instant même où il est accompli. Cela veut dire que vous devriez vivre ainsi dans le moment présent, dans l’action présente. Cela ne signifie pas que vous devriez renoncer à penser au passé et à l’avenir. Il vous faut y penser au contraire, mais en relation avec le présent, avec l’action du moment, quand et où cela est à propos.[2] »
Le bouddhisme comme nous le savon est une mode de vie spirituelle et elle est axée surtout sur l’ascétisme ou le renoncement aux plaisirs qui est source de douleur ou souffrance (dukkha) pour suivre la voie du bouddha (dhamma) afin d’atteindre le nirvana. Et en parlant de nirvana; il y a un philosophe qui est l’un des fondateurs du pessimisme, il s’oriente vers le pragmatisme en remplaçant « l’idée » de Hegel par la Volonté comme principe de tout! C’est Arthur Schopenhauer, pour lui; l’unique chose en soi, c’est la Volonté qui apparaît comme une puissance irrésistible de vie et de croissance. Cette Volonté qui engendre dans l’homme la conscience qui d’ordre intellectuel, mais n’est pas une réalité nouvelle, mais plutôt une excroissance illusoire projetant dans le monde irréel des idées ce que la Volonté réalise. Ce vouloir universel et éternel « c’est la Volonté de Vivre ». Mais ce vouloir-vivre ou bonheur qui est relié aux désirs insatiables, reste non-assouvi, il devient donc une souffrance. Ainsi, chaque degré de perfection, en multipliant les désirs multiplient les douleurs; la douleur est l’état naturel de l’homme et le but où tend la nature. Notre monde est le pire qui soit! (pessimisme /nihilisme) C’est pourquoi, selon Schopenhauer, tous les préceptes d’une morale raisonnable se résume en un seul : « Détruire en nous, par tous les moyens, la volonté de vivre », mais pour atteindre ce but, les moyens violents ou physiques ne sont pas efficaces (Ex. : comme le suicide). Schopenhauer enseigne qu’il faut parcourir la double étape de l’art et de la contemplation bouddhique. L’art, d’abord, retrouve dans l’évolution des choses où se répand le vouloir-vivre, l’idée unique, stable et impersonnelle dont l’expression fait la beauté, et par-là, il s’évade de la vie et de ses désirs douloureux. C’est-à-dire le bonheur dans l’oubli de soi pour atteindre comme chez les bouddhistes « le nirvana! »
Pour continuer plus en détail, dans la perspective du bonheur — elle n’a aucune positivité : c’est la simple suspension de la souffrance. Schopenhauer considère que le bonheur n’est rien de positif, mais tout entier négatif, et consiste uniquement dans la cessation provisoire d’un manque. Le bonheur est donc illusoire, en raison de la nature insatiable du désir. De même que fumer une cigarette n’apaise, dans l’instant, le désir du fumeur que pour l’attiser ensuite, le fait de mettre un terme à la souffrance, c’est-à-dire à l’insatisfaction, revient à y substituer l’ennui, avant une souffrance supérieure. Le bonheur n’est que la « cessation d’une douleur ou d’une privation et, pour remplacer ces dernières, ce qui viendra sera infaillible ou une peine nouvelle, ou bien quelque langueur, une attente sans objet, l’ennui » Pour sortir de ce cercle infernal, c’est au désir lui-même qu’il faudrait renoncer, mais comment désirer ne plus désirer sans être le serpent qui se mord la queue? Schopenhauer complète ce point en établissant une hiérarchie des moyens qui, selon lui, nous permettent de sortir de la souffrance : tout d'abord, il y a l’art, qui nous fait faire le premier pas en direction de la contemplation pure ; puis il y a la morale qui, grâce au sentiment de pitié, nous fait sortir de notre égoïsme premier; et enfin, il y a le renoncement à tout vouloir-vivre, qui nous détourne de toute représentation. La force et le génie de Schopenhauer résident bien selon moi, dans le fait d’avoir postulé que le flux de représentation, qui constitue la relation de l’homme au monde, n’est ni purement subjectif, ni transcendant, mais ancré dans la volonté de la nature se voulant elle-même!
La volonté explique, en effet, mieux que toute autre chose, pourquoi il n’y a pas de sujet sans objet, ni d’objet sans sujet. Par la volonté d’une vie voulant vivre en nous comme dans la nature, il devient possible de comprendre pourquoi nous ne pouvons pas ne pas penser, et pourquoi rien n’est insignifiant, neutre ou muet dans la nature. Ensuite, pour sortir de cette volonté Schopenhauer voit la solution dans une sorte de fuite, de retraite, un refus de vouloir. Là encore, il s’inspire de la philosophie orientale et plus particulièrement de la philosophie bouddhiste qui préconise que « l’existence est faite de souffrance (dukkha) alors il faut éviter les plaisirs par le renoncement ou le non-soi pour ensuite suivre la voie du Bouddha (dhamma) afin d’atteindre le nirvana![3] »



LES QUATRE NOBLES VÉRITÉS
En bref : « Voici, ô moines, la vérité mystique [litt. : la noble vérité] sur la douleur : la naissance est douleur, la maladie est douleur, la mort est douleur, l’union avec ce qu’on déteste est douleur, la séparation d’avec ce qu’on aime est douleur, l’impuissance à obtenir ce que l’on désire est douleur. En résumé, les cinq agrégats d’appropriation sont douleur.
Voici encore, ô moines, la vérité mystique sur l’origine de la douleur : c’est la soif qui conduit de naissance en naissance, accompagnée de jouissance et d’attraction, qui cherche satisfaction ici et là : soif des plaisirs des sens, soif de l’existence, soif du devenir et soif du non-devenir.
Voici encore, ô moines, la vérité mystique sur la suppression de la douleur : c’est l’arrêt complet de cette soif, la non-attraction, le renoncement, la délivrance, le détachement.
Voici encore, ô moines, la vérité mystique sur le chemin qui conduit à l’arrêt de la douleur : c’est le chemin mystique à huit membres qui s’appelle vue juste, intention juste, parole juste, action juste, mode de vie juste, effort juste, vigilance ardente et juste, et juste samâdhi.
Telle est la vérité mystique sur la douleur. Ainsi, ô moines, toutes les choses jusqu’alors inconnues, mes yeux se sont ouverts, et apparurent connaissance, sapience, science et lumière.[4]»
En somme, pour Schopenhauer : l’ascétisme est, selon lui, le seul recours. Cependant, l’art ouvre également une porte. Il permet à l’homme de renoncer à ses propres intérêts en se consacrant entièrement à la recherche de l’esthétique. Schopenhauer établit des hiérarchies entre les différentes formes d’art. Il considère la tragédie avec son effet de catharsis et la résignation qu’elle implique, comme l’une des formes supérieures de l’art. D’ailleurs, il existe un art capable d’atteindre directement la volonté elle-même, sans passer par l’objectivation de l’idée. « La musique nous donne ce qui précède toute forme, le noyau intime, le cœur des choses. » Elle est la plus profonde, le plus puissant de tous les arts. Nul mieux que Schopenhauer n’a justifié la signification universelle du génie de Mozart et de Beethoven. Bien au-delà d’une sentimentalité individuelle, c’est le monde même, comme volonté, qui est répété dans ses harmonies et ses dissonances. En dehors du tout concept, le langage immédiat de la musique est « un exercice métaphysique inconscient ».
La musique est la forme suprême de l’art! Il n’en résulte pas que la philosophie doive faire place à l’art ou se transformer en philosophie de la musique; mais le rapport du philosophe et de l’artiste est posé en termes nouveaux. » Si la philosophie a été longtemps cherchée en vain, c’est qu’on voulait la trouver par la voie d’une science et non par la voie de l’art. » Si, comme tout art, elle est répétition du monde comme volonté, elle retient aussi de la science la rationalité et l’abstraction du concept. Le retentissement de cette métaphysique de l’art ne se limitera pas au « wagnérisme » de la fin du XIXe siècle, mais il se prolonge, au moins indirectement par Nietzsche, dans une interrogation et critique vitale de la métaphysique de Schopenhauer…
Alors, pour clarifier et résumer la pensée Schopenhauerienne : c’est que « L’essence du monde, c’est la volonté… un Vouloir-Vivre aveugle et privé de raison qui anime tous les corps. Ce Vouloir-Vivre, qui vise la survie de l’espèce, se sert des individus (particuliers) pour parvenir à ses fins. (D’ailleurs, on n’est que des exemplaires de l’espèce) Aussi, la lutte que mène chacun pour satisfaire ses désirs est elle-même vouée à l’échec : L’homme, esclave de ses désirs sans cesse renaissants, est condamné au malheur. Alors, les seules voies de salut possible sont : (L’art : qui permet de contempler les idées! et (Le bouddhisme : pour contrer toutes désirs. Finalement, c’est par le refus de vouloir-vivre!

CONCLUSION

Nous avons tenté, au cours de ce travail, une petite analyse comparative se basant sur un point de vue théorique commun entre le bouddhisme Mahayana et la pensée schopenhauerienne : une certaine forme de renoncement à la vie est présente dans les deux doctrines puisque pour le bouddhisme; il y a le renoncement aux plaisirs qui est source de douleur ou de souffrances (dukkha) tandis que pour Schopenhauer : il faut détruire à tout prix ce Vouloir-Vivre aveugle et universel, cette pulsion insatiable qui pousse l’homme à survivre, à objectiver et à réaliser quelque chose. Par une génération hâtive, Schopenhauer fait de cette volonté la propriété de toute réalité, tant de la nature que de la culture. Pour finir,
Schopenhauer et Bouddha sont de « Grands Sages » qui ont influencé et marqué les gens et l’humanité entière dans le côté positif et c’est pour cela d’ailleurs, qu’on les étudiera toujours de génération en génération, car ils prêchent « la bonne nouvelle, » par leurs pensées ou philosophies; ils contribuent et aident à renforcer la compassion des individus l’un envers l’autre!



BIBLIOGRAPHIE

j N.B. La plupart des textes et références de ma dissertation sont inclus dans


SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, trad. A.Burdeau, Paris, PUF, 1992.
WALPOLA RAHULA, L’enseignement du Bouddha d’après les textes les plus anciens, Paris, éditions du Seuil, 1961.
FRANÇOIS CHENG, Le Dialogue, Collection Proches Lointains, Imprimerie Floch à Mayenne en 2002.
HEINZ BECHERT et RICHARD GOMBRICH, Le monde du Bouddhisme, Édition Thomas & Hudson SARL 1998, pour la présente édition.
JEAN-FRANÇOIS REVEL, Le moine et le philosophe, Mathieu Ricard et Nil éditions, 1997 Paris.
HULIN, SERGE. Qu’est-ce que l’ignorance métaphysique?, J. Vrin, Paris, 1994, pp.7- 43.
MAHÂVAGGA, 1.6.19 et sqq., trad. Par Lilian Silburn, Aux sources du bouddhisme, p.37.
[1] La sotériologie constitue les éléments de la doctrine qui, au sein d’un système religieux, se rapporte au salut.
[2] WALPOLA RAHULA, L’enseignement du Bouddha d’après les textes les plus anciens, Paris, éditions du Seuil, 1961. p.99.

[3] En similitude avec les quatre Nobles Vérités bouddhiques qui sont : 1. Dukkha (souffrance)
2. Samaduya, l’apparition ou l’origine (de Dukkha) 3. Nirodha, la cessation (de Dukkha)
4. Magga, le sentier (qui conduit à la cessation de Dukkha) afin d’atteindre le Nirvana.

[4] MAHÂVAGGA, 1.6.19 et sqq., trad. Par Lilian Silburn, Aux sources du bouddhisme, p.37.

samedi, mars 15, 2008

Les idées gouvernent le Monde!


«LES IDÉES GOUVERNENT LE MONDE ET DICTENT LA CONDUITE DE CHACUN»
[Jean Dorst]
parce que: derrière chaque pratique et chaque conduite, sur le plan individuel ou social... Il y a toujours des modèles philosophiques... (C'est-à-dire toujours des IDÉES!)

mercredi, mars 12, 2008

La Beauté est Vérité!



SELON RABINDRANATH TAGORE,

« lorsque nous faisons l'expérience de la beauté, nous la connaissons comme vérité ».

dimanche, mars 09, 2008

PROVERBE DU VÉDA!

"Un nombre infini de mondes apparaissent et disparaissent dans l'immense étendue de ma propre conscience, comme des particules de poussière dansant dans un rayon de lumière."
[Le Véda]

lundi, mars 03, 2008

LES ATOMISTES ANCIENS! ...


DÉMOCRITE & ÉPICURE

Conception atomiste de DÉMOCRITE & D'ÉPICURE!

Les réflexions présocratiques sur la matière remontent à un temps lointain et ont bénéficié de l’apport de plusieurs savants-philosophes grecs. Mais pour éviter de retracer son histoire indéfiniment, nous allons limiter notre investigation sur la conception atomiste de Démocrite et celle d’Épicure, car ils représentent tous les deux, une véritable intuition de la science antique sur la science moderne.

De prime abord, il faut partir un peu avant Démocrite, et j’ai choisi Parménide. En effet, la pensée de Parménide était apparue en réaction à la théologie pythagoricienne qui se retrouvait devant une impasse : si les lignes décrites par les pythagoriciens peuvent être divisées à l’infini, les petits points sur lesquels ils se basaient, soit n’existent pas, soit ne peuvent pas être exprimés par le langage mathématique. C’est donc par une critique rationnelle de l’expérience que Parménide se présente. En effet, il ne croit pas en les méthodes expérimentales des pythagoriciens et des autres savants-ioniens de son époque. Par la raison, il se propose d’étudier l’univers, de l’observer et il en arrive ainsi à deux propositions contradictoires : « Ce qui est, est. Ce qui n’est pas, n’est pas. » Ainsi, Parménide venait d’introduire la matière et le vide. Le seul problème de la théorie de Parménide est qu’elle est constamment réfutée par l’expérience de la vie réelle. En effet, la théorie de Parménide ne permet pas d’introduire le mouvement, le changement ou la diversité ce qui fait que l’être est un et fait face à un monde entier et complet, puisque le non-être n’existe pas.

En opposition à Parménide, Empédocle, et Anaxagore par la suite, vont démontrer l’utilité de l’expérience tout en montrant qu’il faut se méfier de nos sens. En effet, Empédocle prouvera par expérience l’existence de l’air, et c’est ainsi qu’il ouvrira la porte à la théorie atomiste en démontrant que ce qui est invisible existe tout de même, et il donne à ce titre l’exemple du vent qui est une grande force invisible, idem pour la rivière qui est une grande force visible. Ce qui est important chez Empédocle c’est qu’il ne conserve pas l’Un de Parménide, mais adopte plutôt comme principes initiaux la Terre, l’Air, l’Eau et le Feu. Anaxagore ira loin en admettant la possibilité d’une multitude de principes initiaux.

On en arrive donc ainsi à la théorie de Démocrite. L’hypothèse atomiste de Démocrite ressemble étrangement au modèle contemporain que créa Dalton au 19e siècle. Mais Dalton ne s’inspira pas de Démocrite et il ne faut pas considérer plus loin les liens entre les deux. L’originalité de Démocrite, au 5e siècle avant Jésus-Christ, était d’avoir posé la meilleure théorie de son époque pour résoudre les problèmes qui y avaient courts. Ainsi, pour la première fois, Démocrite, pensa que ce qui n’existe pas, existe. Le vide existe donc autant que la matière. Le vide est donc un infini d’étendue et est totalement pénétrable, c’est le vide absolu. Les atomes sont de la même manière, en opposition, un infini de substances, totalement impénétrables, c’est le plein absolu. Démocrite conçoit ainsi les atomes : ce sont des substances solides et uniformes, incréées et éternelles, eux-mêmes incapables de changement, mais qui dans leurs combinaisons et leurs dissolutions variées dans le vide, formaient tout notre monde réel. Démocrite voit les atomes d’une même substances comme étant toutes semblables, mais qu’entre substances, ils différaient par la forme, l’arrangement et la position. C’est ainsi que Démocrite pu, de façon originale, en arriver à l’affirmation de l’existence du vide et à une conception de l’atome lui-même. Mais encore, les découvertes de Démocrite eurent une plus grande importance pour les pythagoriciens. Car là où leur modèle mathématique était limité par un point, les atomes de Démocrite possédaient une masse, étaient spacialement divisibles et physiquement indivisibles. Ainsi, Démocrite venait de fournir aux pythagoriciens la petite brique dont ils avaient besoin pour construire leur édifice mathématique. Le génie de Démocrite énonça aussi la toute première loi de la conservation de la matière et démontre bien le mérite de la puissance de généralisation qu’on peut accorder à la théorie atomiste de Démocrite. « Rien n’est créé à partir rien » « Toutes les choses qui ont été, qui sont et qui seront, ont été nécessairement pré ordonnées. »

Pour sa part, Épicure reprendra beaucoup de Démocrite. Il énoncera trois principes de la matière dans la Lettre à Hérodote 38-39 : premièrement « rien ne vient du non-être », deuxièmement « si ce qui disparaît aux yeux se résolvait au non-être, toutes les choses auraient péri » et il en découle une troisième « que l’univers a toujours été et sera toujours ce qu’il est ». Pour bien en saisir toute la portée, il faut rappeler que la doctrine d’Épicure ne croit pas que rien ne puisse être créé par opération divine, et il exhorte les hommes à questionner leurs frayeurs mal fondées. Aussi place-t-il la nature comme étant la force de la vie, et c’est pourquoi les substances peuvent se décomposer et se recomposer à l’infini : la nature ne laisse jamais voir aucune fin. Il va même plus loin en disant que les météores, les solstices et toutes les choses du genre sont produits par un être plus grand (Dieu), mais qu’il faut voir ses manifestations comme des actes compris dans un ordre plus grand qui est la nature. Épicure se pose ainsi contre le déterminisme de la nature et contre les causes finales.

Mais pour revenir plus précisément sur la matière et le vide, Épicure voit l’univers comme un composé de corps et d’espace. Les corps existent par la sensation, quant à l’espace, il existe que pour permettre aux corps de se mouvoir. Il considère qu’outres ses deux éléments, il n’y a rien qu’on puisse dire distinct ou éloigné de la matière et du vide, car ce sont les deux formes d’existences. Ainsi, tout sujet existant aura ou subira une action de la part des autres qui lui donneront un mouvement, un changement de position dans le vide. Épicure conçoit donc l’existence comme étant une preuve de la matière, le vide n’ayant pour rôle que de fournir un espace pour celle-ci. En ne considérant que deux éléments, la matière et le vide, Épicure s’oppose à Empédocle, Héraclite, Anaximène et Thalès de Milet, entre autres, car il croit qu’aucun autre élément ne peut exister en dehors des deux énumérés. Ainsi, il considère comme faux tous les systèmes antérieurs ayant pour principe fondamental la terre, l’eau, le feu, l’air ou toute combinaison de ces éléments. Maintenant, en ce qui concerne les atomes, Épicure divise la matière en ce qui est composé et ce qui ne l’est pas. Les atomes tombent dans cette seconde catégorie, et comme les atomes en soi ne changent pas, il ne leur reconnaît que les qualités de la figure, du poids et de la grandeur. Si Démocrite en a fourni le modèle théorique, Épicure, pour sa part, va plutôt en discuter avec Hérodote et en tirer des conclusions plus larges, tel l’infinité de l’univers, la possibilité d’une infinité de mondes, la création du monde et de l’homme, etc. Il va beaucoup discourir sur l’infinité de la division des atomes est certes variables, mais pas indéfiniment. Il y aurait donc une limite supérieure de grandeur, mais il y a aussi une limite inférieure. Épicure s’oppose à la division à l’infini car il croit qu’il y a une limite au-delà de laquelle la division est impossible parce que l’univers ne comporterait plus aucun éléments de réalité. Les atomes sont donc les plus petites particules de matières existantes. Une autre différence marquée entre la pensée d’Épicure et celle de Démocrite est que ce dernier envisageait dans le mouvement des atomes qu’une chute dans le vide et un choc entre les atomes. Pour Épicure, les atomes tombent, dans le vide, sans aucune résistance et tous à la même vitesse sans égard à leur masse. Par contre, Épicure ajoute à cette théorie du mouvement une théorie de la déclinaison des atomes, déclinaisons qui agit comme une certaine autonomie et qui produit chez l’atome un mouvement autre que la chute en ligne droite. La déclinaison serait ainsi une hypothèse physique pour tenter d’expliquer l’entrée en contact des atomes mais c’est aussi une loi éthique, l’atome représentant l’individu autonome, libéré des dieux prônés par l’épicurisme.

C’est ainsi que se conclut ce bref tour d’horizon de l’évolution du concept de matière chez Démocrite et Épicure. Il y a une donc vérité qui réside dans les atomes et le vide, et les phénomènes semblent ne mériter qu’un crédit très restreint : au point qu’une certaine tradition, certes contestée par Plutarque1, voudrait que Démocrite se fût crevé les yeux à la fin de sa vie, afin que la vision des yeux n’opposât point d’obstacle à sa pénétration d’esprit2. Cette sorte de dédain pour les yeux, n’exprime-t-il pas crûment ce « désespoir épistémologique » que certains ont voulu déceler- non sans parfois l’exagérer- dans la pensée de Démocrite? – C’est dans cette ligne herméneutique que s’inscrit indéniablement le jeune Marx. Par trois fois, dans sa Dissertation, il parle des « hypothèses » (Hypothesen) de Démocrite 3- en déplorant que celui-ci, à la différence d’Épicure- n’ait pas considéré qu’il est indispensable pour le sage d’être dogmatique au sujet des questions principales. Alors pour résumer ; -Est-il besoin de le préciser? Le vide, chez Démocrite, est absolument…vide! Il n’est pas le « vide » très fleuri dont la physique moderne nous dit qu’il « regorge d’être physiques infimes, indivisibles et fugaces » ; il n’est pas comparable à ce « vide » intergalactique, dont on nous dit qu’on n’y trouve pas plus d’une molécule pour 2 cm3 ! Que la matière des particules réelles puisse émaner selon des modalités encore mal connues d’un tel « vide » qui n’en est pas un, il n’y a là rien qui puisse nous surprendre. Mais que le vide véritable des anciens atomistes (et non plus son moderne homonyme), que le néant, autrement dit, pût avoir un effet moteur sur quoi que ce soit, c’est là une conjecture qui leur eût paru proprement impensable.


Pour finir, on peut en tirer un formidable respect pour ces hommes qui, à une époque où les moyens d’expérimentations étaient extrêmement limités, ont su développer un pouvoir d’intuition qui leur a permis d’envisager des hypothèses qui, après avoir été perdues, ont mis plusieurs siècles avant de reprendre leur place dans notre théorie de la connaissance. La théorie atomiste de Démocrite ressemble beaucoup, à celle faite par Dalton au 19e siècle, et la théorie du mouvement d’Épicure, qui stipule que les atomes tomberont à la même vitesse dans le vide indépendamment de leur poids fait penser aux expériences de Gassendi au 17e siècle. On ne peut que trouver dommage la perte d’aussi grands écrits surtout l’ouvrage de Démocrite. On peut aussi remercier Lucrèce d’avoir su immortaliser la doctrine d’Épicure.


1 DÉMOCRITE, frag. 68 A 27 [= Plutarque, De la curiosité, 12, 521 D] ; in Les Présocratiques, op. cit., p. 760.

2 DÉMOCRITE, frag. 68 A 22 [= Cicéron, Tusculanes, V, XXXIX, 114] ibid., p.758-759.

3 Cf.MARX (K.), Dissertation, op. cit., II, 2 : p. 252 et 257, ainsi que II, 5 : p. 284.

samedi, janvier 26, 2008

DEVIENS CELUI QUE TU ES!

Selon Nietzsche : « L’Être humain est fait pour se surpasser! »

car du pluricellulaires aux plus grands organismes vivants chaque Être veut s’accroître, s’épandre, se dépasser, se perfectionner, se surpasser par une Volonté de puissance qui est en nous indubitablement tel est la philosophie de la Volonté de Puissance et de l’Éternel Retour Nietzschéenne et cela concerne le microcosme autant que le macrocosme…

mercredi, janvier 16, 2008

MALGRÉ LA VIE ... (un peu de poésie!)

« — Quand je pense à toutes ces années passées malgré l’été, le printemps, l’automne et l’hiver… je n’ai subi que la galère devant tes bras glacière, j’ai dû lutter pour subsister et goûter à tes caresses qui ne sont que bref! Pourquoi ne veux-tu pas que je devienne ton amoureux? BELLE VIE, DOUCE VIE (LA DOLCE VITAE ) MA CHÉRIE!?!? Pour que je puisse goûter au plaisir que tu as à m’offrir : L’ARGENT, LES FEMMES et tout ce qu’il y a de plaisir et de bonheur. Dois-je toujours te courir après, es-tu une « agace » qui me fait monter la tête, mais me laisse aussitôt bête? J’ai usé de tous les moyens pour que tu restes avec moi pour l'éternité, mais tu n’es que passagère, « une amante éphémère ». Ces hommes se tournent vers la criminalité; ont usé de diplomatie, de science, d’intelligence, mais pas de chance, tu n’es pas « réglo » même pour les Intellos. CHIENNE DE VIE, CHIENNE DE VIE, je ne veux point te croiser, sur le chemin dorénavant tu ne seras plus mon amante, et je serai fidèle à celle que j’ai toujours désirée, cette princesse que tout le monde cherche, c’est-à-dire ton ennemie jurée : BELLE VIE, DOUCE VIE (LA DOLCE VITAE ) MA CHÉRIE!?!? Dans l’ensemble, tout le monde veut y accéder; la richesse, la santé et la prospérité et je sais que ce sera toujours le même refrain… En somme, j’avance ce fait avec conviction et rêve un jour d’accéder comme tous le monde à beaucoup de « pognons. » C’est le marasme et la galère depuis que je suis né, moi aussi, je veux goûter à ta voisine de palier qui est très coquine et espiègle : BELLE VIE, DOUCE VIE (LA DOLCE VITAE ) MA CHÉRIE?!?! Je t’en pris viens dans ma vie et soit mon « amie de cœur » ou mieux soit ma « dulcinée », car je t’ai toujours désiré malgré tous ce que ta voisine mesquine ma fait subir depuis que je suis né. J’ai toujours eu à lutter avec cette dévergondée de « CHIENNE DE VIE! », j’en ai subi « des vertes et des pas mûrs », et cela, malgré la pluie et le beau temps, j’essaierai toujours de te conquérir : BELLE VIE, DOUCE VIE (LA DOLCE VITAE ) MA CHÉRIE! QUE JE CHÉRIRAI TOUTE MA VIE… :-)»

Gottlob Frege 1848-1925


CONCEPT ET OBJET

Ce texte fut élaboré par Gottlob Frege pour répondre à ses détracteurs et surtout aux critiques de Benno Kerry qui a cité à plusieurs reprises les Fondements de l’arithmétique et quelques autres de ses écrits… alors, Frege nous affirme : « qu’il ne peut que s’en féliciter » et nous montrera au mieux de sa reconnaissance en examinant quelques-uns des points controversés suscités dans la polémique. Cet examen lui paraît d’autant plus nécessaire que les objections de Kerry reposent, au moins partiellement, sur une mauvaise interprétation de ce qu’il a écrit à propos du concept. Bref, « en un mot » Frege va essayer de clarifier et expliciter sa pensée… qu’il n’avait point fait dans les Fondements.
Le terme « concept » a divers emplois; il est pris tantôt au sens psychologique, tantôt au sens logique, et peut-être également dans une acception confuse qui mêle les deux. Mais cette liberté a sa limite naturelle; dès lors qu’un certain emploi du terme est mis en jeu, il est souhaitable qu’il soit maintenu. Pour sa part, il a choisi de s’en tenir strictement à l’emploi purement logique du terme. Que cet emploi soit ou non préférable à l’autre, il laissera cette question de côté estimant qu’elle est secondaire. Il sera facile de s’entendre sur expression quand on aura reconnu qu’il y a là quelque chose qui mérite une dénomination spéciale. Or il semble que la méprise de Kerry tient à ce qu’il confonde involontairement son usage du terme « concept » et celui de Frege. De là des contradictions bien faciles qu’il ne faut pas mettre à la charge de Frege. Kerry conteste ce qu’il appelle sa définition de concept. Frege remarqua d’abord que les explications qu’il a données n’ont pas été proposées à son sens comme une véritable définition. On ne saurait demander que tout soit défini, pas plus qu’on ne pourrait demander à un chimiste qu’il analyse toute matière, nous dit-il.
Ensuite, arrêtons-nous à cette comparaison et exemple : s’il existait ou s’il avait jamais existé des êtres qui fussent pères sans pouvoir être fils, de tels êtres seraient évidemment d’une espèce différente de celle des autres hommes qui sont fils. Or, le cas qui nous occupe est analogue. Le concept – à prendre le terme comme il entend – est prédicatif. À l’inverse, un nom d’objet, un nom propre, ne peut absolument pas être employé comme un prédicat grammatical. Frege avoue qu’il lui faut expliquer là ce qui peut sembler être une affirmation fausse. Ne peut-on pas dire que quelque chose est Alexandre le Grand, le nombre quatre, la planète Vénus, comme on dit que quelque chose est vert ou est un mammifère? Une telle opinion néglige la distinction qui s’impose entre les emplois du terme « est ». Dans les deux derniers exemples il a un rôle copulatif, ce « est » n’est rien d’autre qu’une forme lexicale de l’attribution. Dans cette fonction, on pourra parfois, lui substituer un simple suffixe verbal marquant la personne. Comparons : « cette feuille est verte » et « cette feuille verdoie ». Il est dit là que quelque chose tombe sous un concept, et le prédicat grammatical dénote ce concept. À l’inverse, dans les trois premiers exemples, le « est » a le rôle du signe arithmétique d’égalité, il exprime une identité.
Dans la proposition « l’étoile du matin est Vénus » figurent deux noms propres, « étoile du matin » et « Vénus », qui s’appliquent au même objet. Dans la proposition « l’étoile du matin » est une planète » figurent un nom propre : « l’étoile du matin » et un terme conceptuel : « une planète ». Du point de vue de la langue, il est vrai, on a simplement substitué à « Vénus » « une planète »; mais eu égard aux choses, on a modifié la relation entre les termes. Une identité est convertible; en revanche quand un objet tombe sous un concept, cette relation n’est pas convertible. Le « est » de la proposition « l’étoile du matin est Vénus » n’est évidemment pas une simple copule : si l’on consulte le contenu, « est » est une partie propre du prédicat. On pourrait également dire « l’étoile du matin n’est rien d’autre que Vénus » en développant en quatre mots le contenu du précédent « est ». Dans ce cas, le « est » de « n’est rien autre que » est simplement copulatif. Ce qu’on énonce ici n’est alors que» est simplement copulatif. Ce qu’on énonce ici n’est alors pas simplement Vénus, mais rien autre que Vénus. Ces mots dénotent un concept, sous lequel il est vrai ne tombe qu’un seul objet. Mais un tel concept doit toujours être distingué de l’objet qu’il subsume. Nous avons ici un mot, « Vénus », qui ne peut pas être prédicat, bien qu’il puisse constituer une partie d’un prédicat. La dénotation de ce mot ne peut pas être un prédicat, elle ne peut être qu’un objet.
Il peut sembler vrai que Kerry estime impossible de fonder aucun principe logique sur de distinctions linguistiques; mais on ne pourra pas éviter de procéder comme Frege le fait si on veut parvenir à des principes logiques. Sans le langage, nous aurions et ne pourrions pas nous comprendre et nous en serions réduits à un acte de foi, à croire qu’autrui comprend les mots, les formes, et les constructions comme nous les comprenons nous-mêmes. Comme Frege l’avait déjà dit, et qu’il n’ait pas voulu donner une définition, mais il y a quelques indications qui font appel au sens de la langue que partage tout Allemand ou [tout locuteur d’une langue]. Et il a tiré avantage du fait que la différence sensible dans la langue s’accorde si bien avec la différence réelle. Dans le cas de l’article indéfini, on ne trouvera aucune exception à notre règle, même pour des expressions désuètes telles que « un noble conseiller ». La chose n’est pas si simple dans le cas de l’article défini, surtout lorsqu’il est employé au pluriel; mais son critère ne touche pas à ce dernier cas. Il y a un doute, quand le singulier tient lieu d’un pluriel; par exemple dans les propositions « le Turc assiégea Vienne », « le cheval est un quadrupède ». Toutefois, on y reconnaît aisément des cas particuliers et notre règle ne saurait en être affectée. Il est évident que dans la première proposition, « le Turc » est le nom propre d’un peuple. Quant à la seconde proposition, la meilleure interprétation est d’y voir l’expression d’un jugement universel : « tous les chevaux sont quadrupèdes », ou : « tous les chevaux normalement constitués sont quadrupèdes », Frege y reviendra plus loin…
Lorsque Kerry conteste la pertinence de son critère, en affirmant que, dans la proposition « le concept dont il vient juste de parler est un concept sous lequel tombe un seul individu », le nom constitué par les huit premiers mots dénote un concept, il n’entend pas le terme « concept » à son sens; et la contradiction ne naît pas de ses principes. Mais personne ne peut exiger que la manière dont il choisit de s’exprimer coïncide avec celle de Kerry.
On ne peut nier qu’on se heurte à une difficulté linguistique inévitable quand on dit : le concept cheval n’est pas un concept bien que la Ville de Berlin soit une ville et que le volcan Vésuve soit un volcan. Le langage est ici soumis à une contrainte qui justifie qu’on s’écarte de l’usage. Kerry reconnaît le caractère particulier du cas qui nous occupe en plaçant des guillemets devant le terme de « cheval » — et c’est dans la même intention que Frege utilise l’écriture italique. Il n’y a aucune raison pour attribuer une telle écriture distinctive aux mots « Berlin » et « Vésuve ». Dans le cours d’une recherche logique, il n’est pas rare qu’on ait besoin d’énoncer quelque chose d’un concept et donc de revêtir le concept de la forme linguistique usuelle pour de tels énoncés. D’où il résulte que l’énoncé est le contenu d’un prédicat grammatical. On s’attendrait alors à ce que le concept soit la dénotation du sujet grammatical. Mais le concept, de par sa nature prédicative, ne peut pas jouer d’emblée ce rôle, il doit être représenté par un objet que nous désignons en préposant les mots « le concept », par exemple :
« Le concept homme n’est pas vide. »
Il faut comprendre les trois premiers mots comme un nom propre, lequel ne peut pas plus avoir un emploi prédicatif que « Berlin » ou « le Vésuve ». Quand on dit « Jésus tombe sous le concept homme », le prédicat (abstraction faite de la copule) est
« tombant sous le concept homme »
et cela veut dire la même chose que
« Un homme ».
Mais la séquence de mots
« Le concept homme »
ne constitue qu’une partie de ce prédicat.
On pourrait faire valoir contre la nature prédicative du concept qu’on peut parler de concept sujet. Même en ce cas cependant, par exemple dans la proposition :
« Tous les mammifères ont le sang rouge »
la nature prédicative du concept n’est pas oblitérée. On pourrait en effet dire :
« Tout ce qui est mammifère a du sang rouge »
Ou
« Si quelques être est mammifère, il a du sang rouge ».
Lorsque Frege rédigea les Fondements de l’arithmétique, il n’avait pas encore distingué le sens de la dénotation et il désignait par l’expression « contenu de jugement » tout à la fois ce qu’il distingue désormais en « pensée » et « valeur de vérité ». Et il ne maintiendrait pas dans sa formulation littérale l’explication qu’il se proposait à la page [77], bien qu’il garde pour l’essentiel la même position. En bref, on pourrait dire, en prenant « prédicat » et « sujet » dans leur sens linguistique : un concept est la dénotation d’un prédicat, un objet est ce qui ne peut pas être la dénotation totale d’un prédicat, mais peut être dénotation d’un sujet. Il faut remarquer en outre que les mots « tous », « chaque », « quelques » figurent devant des termes conceptuels. Les propositions universelles et particulières, affirmatives et négatives, expriment des relations entre concepts et indiquent par ces mots (tous, chaque, quelques) le type particulier de la relation; du point de vue de la logique, ces mots ne doivent pas être liés étroitement au terme conceptuel qui fait suite, mais doivent être rapportés à la proposition toute entière. En somme, le langage est un moyen de donner la fonction de sujet à telle ou telle partie de la pensée. Un des procédés les plus connus est la distinction entre les formes du passif et de l’actif. Par suite, il pourra se faire que, la même pensée soit singulière selon une certaine analyse, particulière selon un autre, universelle enfin selon un troisième. On ne s’étonnera pas que la même proposition puisse être interprétée comme un énoncé portant sur un concept ou comme un énoncé portant sur un objet, pour peu qu’on veuille bien remarquer que ces énoncés sont différents. Par exemple : dans la proposition « il existe Jules César » n’est ni vraie ni fausse, elle est dépourvue de sens, bien que la proposition « Il y a un homme dont le nom est Jules César » ait un sens. Mais nous savons ici derechef que c’est un concept, comme l’atteste l’article indéfini. Pour récapituler : l’influence de Frege est majeure pour la logique et pour la philosophie analytique. Il a influencé Russell, Whitehead, Husserl, Carnap, Wittgenstein, Dummett, etc… Frege s’oppose au psychologisme et « expulse les pensées hors de la conscience » : les idées sont des représentations subjectives, mais les pensées sont objectives. Par ailleurs, selon Dummett, Frege est à l’origine du tournant linguistique qui est à l’origine de la philosophie analytique – c’est-à-dire : expliquer la pensée par l’analyse philosophique du langage. L’idéographie de Frege se veut être un nouveau langage purifié des imperfections du langage naturel responsable des fautes de raisonnement et d’erreurs d’interprétations. Selon l’analyse logique du langage de Frege, il y a essentiellement trois types de composantes dans le langage : ses termes singuliers, des propositions et des prédicats. Un concept est une fonction non saturée (ayant une place vide). « _ est la capitale de la France » est un concept. « Paris est la capitale de la France » est une proposition. Un nombre est un objet qui est la classe de tous les concepts dont les objets peuvent être mis en correspondance biunivoque. L’existence est une propriété d’un concept, selon laquelle ce concept peut être prédiqué d’au moins un objet. L’existence est un concept de second – ordre. Par exemple :
Sens et Référence : [Vénus] (Référence)

L’étoile du matin (Sens 1) L’étoile du soir (Sens 2)
ü Le sens comme mode « de donation » (« mode de présentation ») de la Référence.
Les représentations sont subjectives, le Sens est objectif. Si la lune est observée à travers une lunette, la lune est la Référence, l’image rétinienne pour chaque observateur est la représentation, l’image sur la lentille de la lunette correspondant au Sens.
ü Référence des prédicats : des fonctions qui sont des concepts.
ü Le principe de compositionnalité : Le Sens (ou la Référence) de toute expression complexe est fonction de Sens (ou de la Référence) de ses constituants.
Une proposition a pour Sens une pensée. Dans une proposition, la modification d’un terme par un autre ayant la même Référence peut modifier la pensée exprimée, mais non pas la valeur de vérité, donc une proposition a pour Référence le Vrai ou le Faux.
ü Pensée non complète et proposition ayant un individu comme Référence. « Celui qui … est mort dans la misère » a pour Référence : Kepler et non pas le Vrai ou le Faux.
ü Contexte indirect et proposition ayant un Sens comme Référence. Dans un contexte indirect, on ne peut pas interchanger des expressions ayant la même référence, mais il faut qu’elles aient le même Sens. Si Carole pense que l’étoile du soir apparaît le soir, il n’est pas forcément vrai que Carole pense que l’étoile du matin apparaît le soir.
ü Le cas des êtres impossibles. « La suite qui converge le moins rapidement » a un Sens, mais elle n’a pas de Référence.
ü Le cas de l’inassignable. « le corps céleste le plus éloigné de la terre » a un Sens, mais elle n’a pas de Référence assignable.
ü Le cas des êtres fictionnels.Le nom « Odyssée » et la proposition « L’odyssée est parvenue à Ithaque » ont un Sens, mais ils n’ont pas de Référence.
ü Et finalement, il faut définir le Sens pour les termes sans Références. On peut spécifier un référent possible en fournissant un mode de présentation ou de donation de ce référent éventuel.
Pour finir, Frege a bien répondu aux critiques de Kerry et invite le lecteur de se reporter à son article Fonction et concept. Si l’on demande ce que l’Analyse appelle fonction, on butera sur le même obstacle. Et un examen serré révélera que la difficulté gît dans la chose même et dans la nature de notre langage, qu’on ne peut remédier, à une certaine inadéquation de l’expression parlée, qu’il n’y a enfin rien à faire que d’en prendre conscience et d’en tenir compte!

KRIPKE SAUL


LA LOGIQUE DES NOMS PROPRES!

Ce texte que Kripke a donné en conférence, a pour but d’expliciter le rapport entre la référence et la nécessité, pour atteindre cet objectif, ce philosophe va reprendre et développer certaines des idées présentées dans son livre La logique des noms propres (Naming and Necessity). Selon lui, la « thèse de l’identité » ou le matérialisme, sous cette forme, est aujourd’hui fréquemment associé, et de façon étroite, à des questions concernant ce qui est nécessaire et ce qui est contingent dans l’identité des propriétés, ou — à des questions de ce type. C’est pourquoi il est vraiment très important pour des philosophes qui souhaitent travailler dans ces domaines d’avoir une idée claire de ces concepts. Kripke va peut-être nous dire quelque chose du problème des rapports corps-esprit au cours de ces conférences. Il voudrait aussi parler à un moment ou à un autre des substances et des espèces naturelles.

La façon dont il approche ces questions sera passablement différente, sous certains aspects, de ce que les gens pensent de nos jours. (Cependant, il y a aussi des points de contact entre son approche et ce que certains pensent et écrivent aujourd’hui). Quelques-unes de ses vues peuvent au premier abord frapper comme étant manifestement fausses. Son exemple favori est le suivant : on soutient communément, dans la philosophie contemporaine, que certains prédicats qui sont en fait vides – qui ont une extension nulle – sont tels de façon contingente et non en vertu d’une quelconque nécessité. Ce point, il ne le met pas en doute; mais, à titre d’exemple, on mentionne généralement la licorne : on dit que, bien que nous nous soyons tous aperçus qu’il n’y a pas de licorne, il aurait pu, n’est-ce pas, y en avoir. Dans certaines circonstances, il y aurait eu des licornes. C’est là un exemple d’assertion avec laquelle il est en désaccord. Il ne s’agit pas pour lui de soutenir qu’il est nécessaire qu’il n’y ait pas de licorne, mais seulement que nous ne pouvons dire dans quelles circonstances il y aurait eu des licornes. Qui plus est, même si les archéologues et les géologues devaient découvrir, demain, des fossiles établissant l’existence dans le passé d’animaux répondant à tout ce que nous savons des licornes d’après le mythe de la licorne, cela ne montrerait pas, à son avis, qu’il y ait eu des licornes. Donc, certaines de ses opinions sont un peu surprenantes; mais nous allons commencer avec des choses qui le sont peut-être moins et introduire la méthodologie et les problèmes de ces conférences.

Le premier des deux thèmes est la nomination. Par un nom, il entend ici un nom propre, c’est-à-dire le nom d’une personne, d’une ville, d’un pays, etc., d’ailleurs, selon Kripke : Si nous voulons un terme commun couvrant à la fois les noms et les descriptions, nous pouvons employer le terme « désignateur ». Ensuite, il emploiera le terme « référent de la description » pour désigner l’objet unique satisfaisant les conditions spécifiées par la description définie : c’est le sens dans lequel ce terme a été employé dans la tradition logique. Donc, si vous avez une description de la forme « le x tel que Фx », et s’il y a exactement un x tel que Фx, c’est là le référent de la description. Par la suite, quelle relation y a-t-il entre les noms et les descriptions? Selon une doctrine bien connue exposée par John Stuart Mill dans son livre A system of logic, les noms ont une dénotation, mais pas de connotation. Pour utiliser un de ses exemples, quand nous employons le nom « Dartmouth » pour décrire une certaine localité d’Angleterre, il se peut que cette localité soit appelée ainsi à cause de sa situation à l’embouchure de la Dart; mais, dit-il, même si le cours de la Dart (c’est un fleuve) était modifié de tel façon que Dartmouth ne soit plus situé à l’embouchure de la Dart, nous pourrions encore appeler cet endroit « Dartmouth » sans impropriété, alors même que cette appellation peut suggérer que l’endroit en question se trouve à l’embouchure de la Dart. En adoptant une terminologie différente de celle de Mill, nous pourrions dire qu’un nom comme « Dartmouth » a bien une « connotation » pour certaines personnes : il connote (pas pour lui – il n’y a jamais pensé) la situation à l’embouchure de la Dart de toute localité portant ce nom; mais, d’une certaine façon, ce nom n’a pas de « sens ». À tout le moins, que la ville appelée « Dartmouth » se trouve à l’embouchure de la Dart ne fait pas partie de la signification de ce nom. Si quelqu’un affirmait que Darmouth n’est pas situé l’embouchure de la Dart, il ne se contredirait pas.

Il ne faudrait pas croire que toute expression de la forme « le x tel que Фx» soit toujours employée, en français, comme une description plutôt que comme un nom. Chacun de nous a entendu parler du Saint-Empire romain, qui n’était ni saint ni romain, et n’était pas un empire. De nos jours, nous avons les Nations unies. Ici, il semblerait que, puisque ces choses peuvent être ainsi appelées alors qu’elles ne sont pas de Saintes Nations unies, ces expressions doivent être regardées non comme des descriptions définies, mais comme des noms. Dans certains cas, on peut ne pas trop savoir si un terme est un nom ou une description : ainsi « Dieu » — ce terme décrit-il Dieu comme l’unique être divin, ou bien est-il un nom de Dieu? Mais nous n’avons pas à nous tracasser au sujet de tels exemples.

Assurément, la distinction qu’il fait ici existe dans la langue. Mais la tradition classique de la logique contemporaine s’est opposée violemment à la conception de Mill. Frege et Russell ont tous deux pensé, et il semble qu’ils soient arrivés à ces conclusions indépendamment l’un de l’autre, que Mill avait eu tort en un sens très fort : en réalité, un nom propre, correctement employé, ne serait qu’une description définie abrégée ou déguisée. Frege a dit spécifiquement qu’une telle description donne le sens du nom. Bref, selon la conception descriptiviste, la réponse est claire : si « Joe Doakes » est juste une abréviation pour « l’homme qui a corrompu Hadleyburg », alors quiconque a corrompu Hadleyburg et est seul à l’avoir fait est le référent du nom « Joe Doakes ». Si, en revanche, le nom n’a pas un tel contenu descriptif, comment les gens font-ils pour, en utilisant des noms, faire référence à des choses du doigt et de déterminer ainsi par ostension la référence de certains noms.

C’était la doctrine russellienne de l’acquaintance qui convenait à ce moment-là… mais nous savons évidemment maintenant que : les premiers articles de Kripke ont eu une influence considérable sur les développements modernes de la logique modale. Par ailleurs, Kripke a proposé une nouvelle « théorie » de la signification, avec d’importantes ramifications en métaphysique, épistémologie et philosophie de l’esprit. Or, comme nous le savons il s’oppose à la théorie descriptiviste de la signification, issue des travaux de Frege et Russell, qui soutient que la référence d’un nom serait ce qui satisfait le contenu descriptif associé à ce nom. Pour récapituler, l’argument métaphysique ou modal contre le descriptivisme : ce sont les désignateurs rigides. Un désignateurs rigide est un mot qui désigne le même objet dans n’importe quelle situation possible. Le nom « Aristote » maintient sa référence à Aristote, même dans une signification, ou dans un monde possible où Aristote aurait été choisi par Platon pour lui succéder à la tête de l’Académie. ‘‘Le président des États-Unis’’ est une description définie associée à George Bush, mais elle ne sera plus vraie bientôt, bien que George Bush restera George Bush. Comme les noms sont des désignateurs rigides, alors on peut faire des affirmations vraies à propos de ce qui aurait pu se produire. « Aristote n’est pas né à Stagire » est Faux, mais cela exprime quelque chose qui aurait pu se produire, quelque chose de possible. D’après le point de vue descriptiviste, la fausseté d’« Aristote n’est pas né à Stagire » est la même que la fausseté d’« Aristote est né à Stagire et Aristote n’est pas né à Stagire ». Avec la notion de désignateur rigide, on peut distinguer ce qui est faux mais aurait pu être vrai, car possible, de ce qui est faux et n’aurait pas pu être vrai, car impossible.

Les noms propres sont des désignateurs rigides : ils réfèrent à l’objet nommé dans tous les mondes possibles, c’est-à-dire dans toutes les situations contrefactuelles imaginables où cet objet existe. Cette référence est donc nécessaire, dans la mesure où la relation d’identité l’est aussi. De plus, supposons, avec la théorie descriptiviste, que le nom propre ‘Kurl Gödel’ soit considéré comme le synonyme de ‘celui qui a découvert le théorème d’incomplétude de l’arithmétique’. Si nous découvrions qu’en fait ce théorème fut conçu par un certain Schmidt (auquel, dans sa grande malhonnêteté, Gödel subtilisa les notes), dirions-nous que le nom ‘Gödel’ se réfère en réalité à Schmidt? Non, nous dirions simplement que celui qui a découvert le théorème n’est pas Gödel mais Schmidt. D’après Kripke, un nom réfère en vertu d’une chaîne de relations causales entre la référence et des usages du nom. Cette alternative proposée par Kripke à la théorie descriptiviste de la signification est appelée théorie causale de la signification, ou théorie de la chaîne historique, ou théorie de la référence directe. Un nom acquiert initialement sa propre référence grâce à un baptême : un « rite » dans lequel le nom est directement associé à son référent. Cette « chaîne » d’utilisations du nom est nommée par Kripke chaîne causale, parce que la référence est transmise par des relations causales (comme la relation d’apprendre par un locuteur la manière dont un nom est utilisé).

Ensuite, il a remis en cause le lien traditionnel en philosophie entre d’une part le nécessaire et l’a-priori, et d’autre part le contingent et l’a-posteriori. Une convention peut être a-priori et contingente, comme la décision de référence à un mètre étalon. Les propositions des sciences de la nature sont connues a-posteriori, mais si elles sont vraies, elles le sont nécessairement, c’est-à-dire : qu’elles énoncent comment les choses sont ce quelles sont. Ce sont pour Kripke des vérités nécessaires qui ne sont pas a-priori mais a-posteriori. Par exemple, le nombre atomique de l’or est 79, et la composition chimique de l’eau est H2O. Selon Kripke, nous utilisions des identificateurs superficiels pour fixer les références des termes « or » et « eau », mais ces identificateurs superficiels ne définissent pas les mots, ils ne leur donnent pas leurs significations. Autrement dit, avec Quine et avant Kripke, la plupart des philosophes analytiques étaient d’accord pour dire que des énoncés pouvaient être nécessairement (ou possiblement) vrais ou faux (modalité de dicto), mais ils rejetaient qu’il était sensé de dire, pour un individu particulier, qu’il avait nécessairement (ou seulement de manière contingente) telle ou telle propriété. Avec l’influence de Kripke, l’essentialisme est redevenu une position défendue par de nombreux philosophes analytiques. Les propriétés que les individus ont nécessairement sont des nécessités de re. Il est aussi célèbre pour avoir fait remarquer qu’alors la sensation de chaleur est contingente et que la science nous montre que la chaleur est essentiellement une question d’agitation moléculaire; en revanche, la sensation de douleur est essentiellement à la douleur, la science ne pourra jamais nous donner une définition satisfaisante de la douleur qui évacuerait la sensation de douleur!

Ensuite, Kripke a contribué de manière significative à l’étude du 2ième Wittgenstein, dans des conférences publiées en 1982 sous le titre « Wittgenstein on Rules and Private Langage » (Langage privé et jeux de langage). Comment puis-je être sûr que dans le passé, lorsque j’ai utilisé le signe ‘‘ + ’’, je ne signifiais pas une addition, mais une fonction différente qui donnerait les mêmes résultats que l’addition pour tous les exemples que j’ai considérés jusqu’ici. En effet, pour n’importe quel mot, l’utiliser correctement peut être considéré comme le fait de suivre une règle. Selon Kripke, suivre une règle, c’est toujours garder votre usage présent, votre utilisation présente, en ligne ou [en conformité] avec vos intentions passées. Le problème c’est que vos intentions passées n’ont pu se manifester que dans une suite finie de cas, alors que l’on peut supposer que chaque mot est bien défini pour un nombre potentiellement infini de cas.

jeudi, janvier 03, 2008

LANGAGE ET POUVOIR!

Ce texte, que Searle a donné en conférence, a pour but d’expliquer l’ontologie du pouvoir politique et expliciter le rôle du langage dans la constitution de ce pouvoir. Pour atteindre cet objectif, ce philosophe va reprendre et développer certaines des idées présentées dans son livre La Construction de la réalité sociale. Selon lui, la thèse de ce livre est implicitement porteuse d’une philosophie politique ou, tout de moins, d’une conception de la relation entre la philosophie politique et la philosophie du langage – conception que je tenterai de vous rendre plus explicite.
Dans La construction de la réalité sociale, Searle a d’abord tenté de répondre à la question de savoir comment peut exister une réalité sociale et institutionnelle dans un monde fait de particules physiques. Il poursuit, encore aujourd’hui, cette interrogation en la formulant de la manière suivante : « Comment peut-il exister une réalité politique dans un monde fait de particules physiques?[1] » Celui-ci nous donne parmi les exemples d’éléments qui dépendent de l’observateur — c’est-à-dire : qu’un élément dépend de l’observateur, si son existence dépend des attitudes, des pensées et de l’intentionnalité des observateurs, des utilisateurs, des créateurs, des concepteurs, des acheteurs, des vendeurs ou, plus généralement, d’agents intentionnels conscients. Dans tous les autres cas, l’élément est indépendant de l’observateur et parmi les exemples d’éléments qui dépendent de l’observateur, l’on peut citer l’argent, la propriété, le mariage et le langage.Parmi les exemples d’éléments indépendants de l’observateur, on peut citer la force, la masse, l’attraction gravitationnelle, la liaison chimique et la photosynthèse. Cependant en l’absence d’agents conscients, il y aurait toujours une force, une masse et des liaisons chimiques, mais il n’y aurait ni argent, ni propriétés, ni mariage, ni langage. Ensuite, il fait la distinction entre, d’une part, l’objectivité et la subjectivité épistémiques, et, d’autre part, l’objectivité et la subjectivité ontologique… Pour être plus précis, l’objectivité et la subjectivité épistémiques sont des propriétés des assertions. Bref, une assertion est épistémiquement objectives si sa valeur de vérité peut être déterminée de manière indépendante du sentiment, des attitudes et des préférences, etc. de ceux qui la font ou de ceux qui l’interprètent. Et, l’on retrouve d’un autre côté, la subjectivité et l’objectivité ontologiques qui sont des propriétés de la réalité… car les douleurs et les chatouillements sont ontologiquement subjectifs parce que leur existence dépend du fait qu’ils soient éprouvés par un sujet humain ou par un animal. Les montagnes, les planètes et les molécules sont ontologiquement objectives parce que leur existence ne dépend pas d’expérience subjectives. Ayant fait les distinctions, tournons-nous vers la réalité sociale et politique dorénavant et demandons-nous : « Que faudrait-il ajouter aux faits sociaux pour qu’ils deviennent des faits politiques? »
La capacité à produire des faits sociaux dépend en partie d’ une capacité à base biologique que les humains partagent avec d’autres espèces : soit la capacité d’intentionnalité collective. Par ailleurs, l’intentionnalité collective est présente dans toute forme de comportement de coopération, ou toute forme de désir ou de croyance partagés, dans lesquels les agents en cause sont conscients de partager des désirs, des croyances ou des intentions. Les plus grands théoriciens en sociologie notent souvent que l’intentionnalité collective est au fondement de la société. Durkheim, Simmel et Weber l’ont fait de différentes manières. Ils n’avaient ni le jargon, ni la théorie de « l’intentionnalité phénoménologique », mais ils ont eu, l’intuition et Searle crois : que c’est ce qu’ils voulaient dire, compte-tenu du vocabulaire du XIXe siècle dont ils disposaient! Mais il y a une question qu’ils n’ont pas traitée toutefois et c’est la suivante : « Comment passe-t-on des faits sociaux aux faits institutionnels? » Alors que nous faudrait-il ajouter spécifiquement à l’intentionnalité collective pour arriver aux formes de la réalité institutionnelle caractéristiques des êtres humains, et en particulier de la réalité politique humaine? Searle nous explique qu’il nous faut deux éléments supplémentaires : premièrement, l’attribution de fonction et deuxièmement, certaines sortes de règles qu’il appelle « règles constitutives ». C’est cette combinaison, ajoutée à l’intentionnalité collective, qui est à la base de notre notion de société humaine. Pour revenir à notion de règle constitutive et l’expliquer, John Searle introduit une distinction entre ce qu’il appelle les faits bruts et les faits institutionnels. Les faits bruts peuvent exister sans institution humaine, les faits institutionnels ont, comme leur nom l’indique, besoin des institutions humaines pour exister. Par exemple; le fait qu’une pierre donnée soit plus grande qu’une autre, ou que la Terre soit à 93 millions de miles du soleil, constituent des faits bruts. Le fait que je sois citoyen des États-Unis, ou que ceci soit un billet de 50 dollars, constituent des exemples de faits institutionnels.
Ensuite, il nous introduira la notion de règles pour savoir comment les faits institutionnels sont possibles? Pour expliquer et expliciter cela, il fait préalablement la distinction entre deux types de règles, qu’il nomme les règles régulatrices et les règles constitutives. Les règles régulatrices régulent des formes de comportement qui leur pré-existent. Une règle qui impose de « rouler à droite » par exemple, réglemente la circulation. Les règles constitutives, elles, non seulement régulent, mais créent la possibilité, ou définissent, de nouvelles formes de comportement. Les règles du jeu d’échecs ne se contentent pas de réglementer la façon de jouer, mais plutôt le jeu d’échecs suppose d’agir dans le respect de ces règles. Ce que nous devons savoir c’est l’élément clé dans le passage du brut à l’institutionnel et, par là même, dans celui des fonctions physiques attribuées aux fonctions de statut, réside dans la façon dont, en accordant un statut à quelque chose, nous lui attribuons une fonction fondée sur ce statut. Ainsi donc, notre capacité à suivre un ensemble de procédures ou de pratiques – selon lesquelles, nous considérons certaines choses comme ayant un certain statut – constitue l’élément clé nous permettant de passer de la simple attributions de fonctions de l’animal et de l’intentionnalité collective à l’attribution de fonctions de statut. De sorte qu’il y a à propos des fonctions de statut, deux choses qui sont à noter. D’abord, elles sont toujours liées à des puissances positives et négatives. La personne qui possèdent de l’argent ou des propriétés, ou qui est mariée a des pouvoirs, des droits et des obligations qu’elle n’aurait pas autrement. Ensuite, il faut noter que ces pouvoirs ont une forme particulière : ils ne correspondent pas, par exemple, à la puissance d’une alimentation électrique, ni au pouvoir qu’un individu aurait sur un autre de par sa force physique brute.
Ainsi il nous semble qu’appeler « puissance » celle du moteur de notre voiture et celle de George W. Bush en tant que président revient à jouer sur les mots, parce que ces puissances sont complètement différentes. La puissance du moteur de ma voiture est une puissance brute. Alors que les pouvoirs qui constitue les faits institutionnels sont toujours des questions de droit, de devoirs, d’obligations, d’engagements, d’autorisations, d’exigences et de permissions. Notez aussi que ces pouvoirs n’existent que tant qu’ils sont admis, reconnus, ou encore acceptés. Searle nous propose d’appeler toutes ces sortes de pouvoirs des pouvoirs déontiques. Les faits institutionnels sont toujours affaire de pouvoirs déontiques.
Pour récapituler, revenons à l’exemple de Bush. Pour que Bush soit président, il faut que des gens pensent qu’il l’est, or pour qu’ils pensent qu’il est président, il faut qu’ils aient un moyen de le penser, et ce moyen doit être évidemment linguistique ou symbolique. Mais que dire du langage lui-même? Le langage n’est-il pas en soi un fait institutionnel, et ne requiert-il donc pas de disposer d’un mode de représentation de son statut institutionnel? Le langage et l’institution sociale de base, non seulement au sens où le langage est nécessaire à l’existence des autres institutions sociales, mais aussi au sens où les éléments linguistiques s’auto-identifient, pour ainsi dire, comme étant linguistiques. Or, en ce sens, l’argent, la propriété, le mariage, le gouvernement et les présidents des États-Unis ne sont pas auto-définis en soi. Il nous faut un moyen pour les identifier et ce moyen est assurément symbolique ou linguistique. Alors, pour résumer : la position de John R. Searle — sa présentation de la réalité sociale et de la rationalité est porteuse d’une conception implicite du politique et du pouvoir politique. On peut résumer celle-ci en un certain nombre de propositions. (Il y en a 8 propositions en tout) et la quatrième proposition m’interpelle parce que Searle m’apprend que l’événement politique le plus marquant de la deuxième moitié du XXe siècle a été la chute du communisme. Il s’est produit quand la structure de l’intentionnalité collective n’a plus été capable de maintenir le système des fonctions de statut… et c’est ainsi; que l’individu soit à la source de tout pouvoir politique, en raison de sa contribution à l’élaboration de l’intentionnalité collective, ne l’empêche pas, de manière caractéristique, de se sentir impuissant. Il sent que les pouvoirs en place ne dépendent de lui en aucune façon. Et c’est pour cela qu’il est si important pour les révolutionnaires d’introduire une forme d’intentionnalité collective comme la conscience de classe, l’identification avec le prolétariat, la solidarité étudiante, la prise de conscience des femmes, ou quelque chose du même genre. Pour finir, à la suite de John Rawls qui fut un précurseur et qui a été le mieux à rendre compte de la justification rationnelle, ainsi que toute l’approche qu’il a inspiré en publiant son fameux livre « Une théorie de la justice », mais néanmoins Searle considère que les travaux de Rawls demandent à être poursuivis … tandis que pour notre philosophe analytique John R. Searle malgré qu’il a fait l’impasse sur la question de la légitimation politique, et qu’il a également ignoré les problèmes traditionnels du changement social. Mais Searle croit qu’il y a un germe d’explication du changement sociale et politique dans son ontologie!
Les changements majeurs impliquent aussi des transformations dans le Background qu’il n’a pas discuté dans ce texte. La mécanique du changement social demande, de manière caractéristique, d’invoquer certaines prédispositions du Back-ground. Et donc les scénarios traditionnels d’appel à la révolution, à la libération, au socialisme, etc. sont des invocations des prédispositions du Background susceptibles d’induire des transformations dans la distribution des fonctions de statut selon John R. Searle!
[1] «Langage et Pouvoir» de John R.Searle de notre recueil de texte à la page. 76 aux éditions Bernard Grasset.

mercredi, janvier 02, 2008

BERTRAND RUSSELL (1872-1970)


DE LA DÉNOTATION!

Bertrand Russell (1872-1970) est, par l’importance de son œuvre philosophique et de son engagement politique, un des plus grands intellectuels du vingtième siècle. Son œuvre philosophique, dont l’influence s’étend jusqu’à nos jours, est d’une grande importante dans l’histoire de la philosophie et surtout pour sa « grosse contribution » à la philosophie analytique… comme son texte sur de la dénotation : qui consiste en une argumentation, qui sera la suivante. Il commencera par présenter la théorie qu’il entend défendre; il examinera ensuite les théories de Frege et de Meinong, montrant pourquoi aucune d’elles ne le satisfait; après quoi il exposera les raisons qui parlent en faveur de la sienne : et pour finir, il va nous expliquer brièvement les conséquences philosophiques (ou répercussions, ondes de choc, impact, etc.) de cette théorie dans le domaine de la philosophie…
De prime abord, par « expression dénotante », il entend une expression semblable à n’importe laquelle des expressions suivantes : un homme, quelque homme, n’importe quel homme, chaque homme, tous les hommes, l’actuel roi de France, le centre de la masse du système solaire au premier instant du XXe siècle, la révolution de la Terre autour du Soleil, la révolution du Soleil autour de la Terre. Aussi une expression n’est-elle dénotante qu’en vertu de sa forme. Trois cas peuvent être distingués selon lui : (1) une expression peut être dénotante et cependant ne rien dénoter : par exemple « l’actuel roi de France ». (2) Une expression peut dénoter un objet déterminé; par exemple, « l’actuel roi d’Angleterre » dénote un certain homme. (3) Une expression peut dénoter de manière ambiguë; « un homme », par exemple, dénote non pas plusieurs hommes, mais un homme ambigu. En somme, la question de la dénotation est d’une très grande importance, non seulement pour la logique et la mathématique, mais aussi pour la théorie de la connaissance.
Ensuite, Russell va faire la distinction entre connaissance directe et connaissance à propos de, c’est distinguer les choses dont nous avons des présentations, des choses que nous n’atteignons qu’au moyen d’expression dénotantes. Par ailleurs, il arrive souvent que nous sachions qu’une certaine expression dénote sans ambiguïté, quoique nous n’ayons aucune connaissance directe de ce qu’elle dénote : c’est ce qui arrive dans le cas du centre de la masse. Dans la perception nous avons une connaissance directe des objets de la perception, et dans la pensée une connaissance directe d’objets d’un caractère logique plus abstrait : mais nous n’avons pas nécessairement de connaissance directe des objets que dénotent les expressions composées de mots dont nous connaissons le sens par connaissance directe. En voici un exemple d’une grande importance : il semble n’y avoir aucune raison de croire que nous connaissons directement les esprits des autres, étant donné qu’ils ne sont pas perçus directement; aussi, ce que nous connaissons à leur propos, nous l’obtenons au moyen de la dénotation. Penser semble toujours prendre son point de départ dans une connaissance directe; mais nous avons des pensées à propos de beaucoup de choses dont nous n’avons pas de connaissance directe.
Pour Bertrand Russell : l’expression « C(x) est toujours vraie » et elle est prise comme une notion ultime et indéfinissable, et les autres se définissent par son moyen terme. Tout, rien et quelque chose sont supposés n’avoir aucun sens isolément, mais un sens est attribué à chaque proposition dans laquelle ils figurent. Tel est le principe de la théorie de la dénotation qu’il souhaite défendre : les expressions dénotantes n’ont jamais aucun sens en elles-mêmes, mais chaque proposition dans l’expression verbale de laquelle elles figurent possède un sens. Les difficultés relatives à la dénotation sont, à son avis, le résultat d’une mauvaise analyse des propositions dont l’expression verbale contient des expressions dénotantes. Il nous restera ensuite à interpréter les expressions qui contiennent le. Ce sont de loin les plus intéressantes et les plus difficiles des expressions dénotantes. Prenez par exemple ce que le langage ordinaire exprime par « Charles II avait un père et un seul ». Par conséquent si cette condition n’est pas remplie, chaque proposition de la forme « C (le père de Charles II) est fausse. Ainsi, chaque proposition de la forme « C (l’actuel roi de France) » est fausse. C’est là un grand avantage de sa théorie. Il nous montrera par la suite que ce n’est pas contraire à la loi de contradiction, comme on pourrait à première vue le supposer.
Nous réduisons ainsi toutes les propositions où figurent des expressions dénotantes à des formes où n’en figurent aucune. En quoi une telle réduction est nécessaire, l’examen qui suit s’efforcera de le montrer. Ce qui parle en faveur de cette théorie, ce sont les difficultés auxquelles on se heurte inévitablement quand on considère que les expressions dénotantes représentent des constituants authentiques des propositions dans l’expression verbale desquelles elles figurent. Bien sûr, il n’y a que la théorie de Frege qui évite précisément cette violation de la loi de contradiction? Celui-ci distingue, dans une expression dénotante, deux éléments, que nous pouvons appeler le sens et la dénotation. L’un des avantages entre sens et dénotation, c’est-à-dire cette distinction est de montrer pourquoi il est souvent utile d’affirmer l’identité. Si nous disons « Socrate est l’auteur de Waverly », nous affirmons une identité de dénotation et une différence de sens. Alors pour récapituler : on peut choisir la première solution en admettant, comme Meinong, des objets qui ne subsistent pas, et en niant qu’ils obéissent à la loi de contradiction : mais il faut, autant que possible, l’éviter. Une autre manière de défendre la même solution est celle qu’adopte Frege en fournissant, au moyen d’une définition, une dénotation purement conventionnelle pour les cas où il n’y en aurait sans cela aucune. Or, néanmoins, la relation entre le sens et la dénotation n’est pas une relation purement linguistique établie par l’intermédiaire de l’expression : une relation purement linguistique établie par l’intermédiaire de l’expression : une relation logique se trouve nécessairement impliquée, que nous exprimons en disant que le sens dénote la dénotation. D’un autre point de vue la façon correcte de s’exprimer est de dire que certains sens ont des dénotations. Et, c’est ainsi que Russell abordera la différence entre l’occurrence primaire et l’occurrence secondaire des expressions dénotantes couramment utilisés. Alors ce qui suppose que des expressions telles que « l’actuel roi de France », qui ne dénotent pas d’individus réels, dénotent cependant un individu, mais un individu irréel. Ce qui est en substance similaire à la théorie de Meinong, dont nous avons vu qu’elle devait être rejetée, car elle entre en conflit avec la loi de contradiction. La théorie de la dénotation russellienne nous met en mesure de soutenir qu’il n’y a pas d’individus irréels; de sorte que la classe nulle est la classe qui ne contient aucun membre, non pas la classe ayant pour membre tous les individus irréels.
Pour clarifier et résumer : cette théorie de la dénotation a une conséquence intéressante : quand nous n’avons pas de connaissance directe immédiate de quelque chose, mais seulement une définition au moyen d’expressions dénotantes, les propositions dans lesquelles cette chose est introduite au moyen d’une expression dénotante ne comptent pas vraiment cette chose parmi leurs constituants, mais contiennent au contraire les constituants exprimés par les différents mots de l’expression dénotante. Aussi dans chaque proposition que nous pouvons appréhender (c’est-à-dire non pas seulement celles de la vérité ou de la fausseté de laquelle nous pouvons juger, mais toutes celles auxquelles nous pouvons penser), tous les constituants sont des entités réelles desquelles nous avons une connaissance directe. Or nous ne connaissons pas des choses telles que la matière (au sens que la matière a en physique) ou l’esprit d’autrui, qu’au moyen d’expressions dénotantes, c’est-à-dire que nous ne les connaissons pas directement, mais seulement comme ce qui a telles et telles propriétés. Aussi, quoique nous puissions former des fonctions propositionnelles C(x) qui doivent valoir pour telle et telles particules matérielles, ou pour l’esprit de un tel, nous ne connaissons pas directement les propositions qui affirment ces choses que nous savons devoir être vraies, parce que nous ne pouvons appréhender les entités réelles en question. Ce que nous savons, c’est que « un tel a un esprit qui a telles et telles propriétés », mais nous ne savons pas que « A a telles et telles propriétés », où A est l’esprit en question. Dans un tel cas, nous connaissons les propriétés d’une chose sans avoir de connaissance directe de la chose elle-même, et sans, par conséquent, connaître une seule proposition dont la chose elle-même soit un constituant!

Il y aura de nombreuses autres conséquences du point de vue que Russell défend, mais il ne dira pas un mot. Il veut seulement nous prier de ne pas rejeter sa thèse de la dénotation – ainsi qu’on pourrait être tenté de le faire à cause de son excessive complication – jusqu’à ce qu’on ait nous-mêmes tenté d’élaborer une fameuse théorie de la dénotation. Une telle tentative nous convaincra, dit-il, il le croit, que quelle que puisse être la théorie vraie, elle ne saurait avoir la simplicité que l’on peut en attendre dès le départ… d’ailleurs, il fut aussi intéressé par la question des fondements des mathématiques dès ses premiers travaux (An Essay on the fondation of Geometry (1897)), il rédige les Principles of Mathematics (1903) et, il a collaboré avec A.N Whitehead, les trois volumes des fameuses Principia Mathematica (1911 -13). À la suite de Frege, il aura été un des défenseurs du « logicisme », une des grandes philosophies des mathématiques du vingtième siècle. En France, Russell débattra avec Poincaré dans les pages de la Revue de Métaphysique et de morale. D’ailleurs, sur ces questions, il aura une profonde influence sur Couturat, Ramsey et Carnap.

Et pour finir, ayant été éduqué à Cambridge à la fin du XIXe siècle, Russell, en compagnie de son ami G.E. Moore, rejeta la philosophie de ses maîtres idéalistes (Bradley, McTaggart) – un tournant fondamental dans l’histoire de la philosophie anglaise – au profit de ce qu’il appelait alors, dans une conférence à la Société française de philosophie en 1911, le « réalisme analytique », programme d’où allait sortir la philosophie analytique!