lundi, mars 03, 2008

Conception atomiste de DÉMOCRITE & D'ÉPICURE!

Les réflexions présocratiques sur la matière remontent à un temps lointain et ont bénéficié de l’apport de plusieurs savants-philosophes grecs. Mais pour éviter de retracer son histoire indéfiniment, nous allons limiter notre investigation sur la conception atomiste de Démocrite et celle d’Épicure, car ils représentent tous les deux, une véritable intuition de la science antique sur la science moderne.

De prime abord, il faut partir un peu avant Démocrite, et j’ai choisi Parménide. En effet, la pensée de Parménide était apparue en réaction à la théologie pythagoricienne qui se retrouvait devant une impasse : si les lignes décrites par les pythagoriciens peuvent être divisées à l’infini, les petits points sur lesquels ils se basaient, soit n’existent pas, soit ne peuvent pas être exprimés par le langage mathématique. C’est donc par une critique rationnelle de l’expérience que Parménide se présente. En effet, il ne croit pas en les méthodes expérimentales des pythagoriciens et des autres savants-ioniens de son époque. Par la raison, il se propose d’étudier l’univers, de l’observer et il en arrive ainsi à deux propositions contradictoires : « Ce qui est, est. Ce qui n’est pas, n’est pas. » Ainsi, Parménide venait d’introduire la matière et le vide. Le seul problème de la théorie de Parménide est qu’elle est constamment réfutée par l’expérience de la vie réelle. En effet, la théorie de Parménide ne permet pas d’introduire le mouvement, le changement ou la diversité ce qui fait que l’être est un et fait face à un monde entier et complet, puisque le non-être n’existe pas.

En opposition à Parménide, Empédocle, et Anaxagore par la suite, vont démontrer l’utilité de l’expérience tout en montrant qu’il faut se méfier de nos sens. En effet, Empédocle prouvera par expérience l’existence de l’air, et c’est ainsi qu’il ouvrira la porte à la théorie atomiste en démontrant que ce qui est invisible existe tout de même, et il donne à ce titre l’exemple du vent qui est une grande force invisible, idem pour la rivière qui est une grande force visible. Ce qui est important chez Empédocle c’est qu’il ne conserve pas l’Un de Parménide, mais adopte plutôt comme principes initiaux la Terre, l’Air, l’Eau et le Feu. Anaxagore ira loin en admettant la possibilité d’une multitude de principes initiaux.

On en arrive donc ainsi à la théorie de Démocrite. L’hypothèse atomiste de Démocrite ressemble étrangement au modèle contemporain que créa Dalton au 19e siècle. Mais Dalton ne s’inspira pas de Démocrite et il ne faut pas considérer plus loin les liens entre les deux. L’originalité de Démocrite, au 5e siècle avant Jésus-Christ, était d’avoir posé la meilleure théorie de son époque pour résoudre les problèmes qui y avaient courts. Ainsi, pour la première fois, Démocrite, pensa que ce qui n’existe pas, existe. Le vide existe donc autant que la matière. Le vide est donc un infini d’étendue et est totalement pénétrable, c’est le vide absolu. Les atomes sont de la même manière, en opposition, un infini de substances, totalement impénétrables, c’est le plein absolu. Démocrite conçoit ainsi les atomes : ce sont des substances solides et uniformes, incréées et éternelles, eux-mêmes incapables de changement, mais qui dans leurs combinaisons et leurs dissolutions variées dans le vide, formaient tout notre monde réel. Démocrite voit les atomes d’une même substances comme étant toutes semblables, mais qu’entre substances, ils différaient par la forme, l’arrangement et la position. C’est ainsi que Démocrite pu, de façon originale, en arriver à l’affirmation de l’existence du vide et à une conception de l’atome lui-même. Mais encore, les découvertes de Démocrite eurent une plus grande importance pour les pythagoriciens. Car là où leur modèle mathématique était limité par un point, les atomes de Démocrite possédaient une masse, étaient spacialement divisibles et physiquement indivisibles. Ainsi, Démocrite venait de fournir aux pythagoriciens la petite brique dont ils avaient besoin pour construire leur édifice mathématique. Le génie de Démocrite énonça aussi la toute première loi de la conservation de la matière et démontre bien le mérite de la puissance de généralisation qu’on peut accorder à la théorie atomiste de Démocrite. « Rien n’est créé à partir rien » « Toutes les choses qui ont été, qui sont et qui seront, ont été nécessairement pré ordonnées. »

Pour sa part, Épicure reprendra beaucoup de Démocrite. Il énoncera trois principes de la matière dans la Lettre à Hérodote 38-39 : premièrement « rien ne vient du non-être », deuxièmement « si ce qui disparaît aux yeux se résolvait au non-être, toutes les choses auraient péri » et il en découle une troisième « que l’univers a toujours été et sera toujours ce qu’il est ». Pour bien en saisir toute la portée, il faut rappeler que la doctrine d’Épicure ne croit pas que rien ne puisse être créé par opération divine, et il exhorte les hommes à questionner leurs frayeurs mal fondées. Aussi place-t-il la nature comme étant la force de la vie, et c’est pourquoi les substances peuvent se décomposer et se recomposer à l’infini : la nature ne laisse jamais voir aucune fin. Il va même plus loin en disant que les météores, les solstices et toutes les choses du genre sont produits par un être plus grand (Dieu), mais qu’il faut voir ses manifestations comme des actes compris dans un ordre plus grand qui est la nature. Épicure se pose ainsi contre le déterminisme de la nature et contre les causes finales.

Mais pour revenir plus précisément sur la matière et le vide, Épicure voit l’univers comme un composé de corps et d’espace. Les corps existent par la sensation, quant à l’espace, il existe que pour permettre aux corps de se mouvoir. Il considère qu’outres ses deux éléments, il n’y a rien qu’on puisse dire distinct ou éloigné de la matière et du vide, car ce sont les deux formes d’existences. Ainsi, tout sujet existant aura ou subira une action de la part des autres qui lui donneront un mouvement, un changement de position dans le vide. Épicure conçoit donc l’existence comme étant une preuve de la matière, le vide n’ayant pour rôle que de fournir un espace pour celle-ci. En ne considérant que deux éléments, la matière et le vide, Épicure s’oppose à Empédocle, Héraclite, Anaximène et Thalès de Milet, entre autres, car il croit qu’aucun autre élément ne peut exister en dehors des deux énumérés. Ainsi, il considère comme faux tous les systèmes antérieurs ayant pour principe fondamental la terre, l’eau, le feu, l’air ou toute combinaison de ces éléments. Maintenant, en ce qui concerne les atomes, Épicure divise la matière en ce qui est composé et ce qui ne l’est pas. Les atomes tombent dans cette seconde catégorie, et comme les atomes en soi ne changent pas, il ne leur reconnaît que les qualités de la figure, du poids et de la grandeur. Si Démocrite en a fourni le modèle théorique, Épicure, pour sa part, va plutôt en discuter avec Hérodote et en tirer des conclusions plus larges, tel l’infinité de l’univers, la possibilité d’une infinité de mondes, la création du monde et de l’homme, etc. Il va beaucoup discourir sur l’infinité de la division des atomes est certes variables, mais pas indéfiniment. Il y aurait donc une limite supérieure de grandeur, mais il y a aussi une limite inférieure. Épicure s’oppose à la division à l’infini car il croit qu’il y a une limite au-delà de laquelle la division est impossible parce que l’univers ne comporterait plus aucun éléments de réalité. Les atomes sont donc les plus petites particules de matières existantes. Une autre différence marquée entre la pensée d’Épicure et celle de Démocrite est que ce dernier envisageait dans le mouvement des atomes qu’une chute dans le vide et un choc entre les atomes. Pour Épicure, les atomes tombent, dans le vide, sans aucune résistance et tous à la même vitesse sans égard à leur masse. Par contre, Épicure ajoute à cette théorie du mouvement une théorie de la déclinaison des atomes, déclinaisons qui agit comme une certaine autonomie et qui produit chez l’atome un mouvement autre que la chute en ligne droite. La déclinaison serait ainsi une hypothèse physique pour tenter d’expliquer l’entrée en contact des atomes mais c’est aussi une loi éthique, l’atome représentant l’individu autonome, libéré des dieux prônés par l’épicurisme.

C’est ainsi que se conclut ce bref tour d’horizon de l’évolution du concept de matière chez Démocrite et Épicure. Il y a une donc vérité qui réside dans les atomes et le vide, et les phénomènes semblent ne mériter qu’un crédit très restreint : au point qu’une certaine tradition, certes contestée par Plutarque1, voudrait que Démocrite se fût crevé les yeux à la fin de sa vie, afin que la vision des yeux n’opposât point d’obstacle à sa pénétration d’esprit2. Cette sorte de dédain pour les yeux, n’exprime-t-il pas crûment ce « désespoir épistémologique » que certains ont voulu déceler- non sans parfois l’exagérer- dans la pensée de Démocrite? – C’est dans cette ligne herméneutique que s’inscrit indéniablement le jeune Marx. Par trois fois, dans sa Dissertation, il parle des « hypothèses » (Hypothesen) de Démocrite 3- en déplorant que celui-ci, à la différence d’Épicure- n’ait pas considéré qu’il est indispensable pour le sage d’être dogmatique au sujet des questions principales. Alors pour résumer ; -Est-il besoin de le préciser? Le vide, chez Démocrite, est absolument…vide! Il n’est pas le « vide » très fleuri dont la physique moderne nous dit qu’il « regorge d’être physiques infimes, indivisibles et fugaces » ; il n’est pas comparable à ce « vide » intergalactique, dont on nous dit qu’on n’y trouve pas plus d’une molécule pour 2 cm3 ! Que la matière des particules réelles puisse émaner selon des modalités encore mal connues d’un tel « vide » qui n’en est pas un, il n’y a là rien qui puisse nous surprendre. Mais que le vide véritable des anciens atomistes (et non plus son moderne homonyme), que le néant, autrement dit, pût avoir un effet moteur sur quoi que ce soit, c’est là une conjecture qui leur eût paru proprement impensable.


Pour finir, on peut en tirer un formidable respect pour ces hommes qui, à une époque où les moyens d’expérimentations étaient extrêmement limités, ont su développer un pouvoir d’intuition qui leur a permis d’envisager des hypothèses qui, après avoir été perdues, ont mis plusieurs siècles avant de reprendre leur place dans notre théorie de la connaissance. La théorie atomiste de Démocrite ressemble beaucoup, à celle faite par Dalton au 19e siècle, et la théorie du mouvement d’Épicure, qui stipule que les atomes tomberont à la même vitesse dans le vide indépendamment de leur poids fait penser aux expériences de Gassendi au 17e siècle. On ne peut que trouver dommage la perte d’aussi grands écrits surtout l’ouvrage de Démocrite. On peut aussi remercier Lucrèce d’avoir su immortaliser la doctrine d’Épicure.


1 DÉMOCRITE, frag. 68 A 27 [= Plutarque, De la curiosité, 12, 521 D] ; in Les Présocratiques, op. cit., p. 760.

2 DÉMOCRITE, frag. 68 A 22 [= Cicéron, Tusculanes, V, XXXIX, 114] ibid., p.758-759.

3 Cf.MARX (K.), Dissertation, op. cit., II, 2 : p. 252 et 257, ainsi que II, 5 : p. 284.

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