
Ya-t-il quelque chose, dans nos sociétés occidentales actuelles qui échappent à un schéma aux aspects aussi tranchés que l’âme et le corps ou la frontière entre l’esprit et la matière? Depuis la nuit des temps, je crois que la plupart des civilisations ont été prises avec ces idées de l’âme ou de l’esprit confrontés à la matière, le corps…Déjà à l’époque de la Grèce antique : Socrate pensait que le corps est mauvais et nuisible au bon fonctionnement de l’esprit, parce qu’il le trouble. Le philosophe cherche essentiellement à se défaire de plus en plus de ce corps pour atteindre la Vérité. Socrate oppose ainsi le corps et la Vérité, vérité donc qui justifie la prédominance de l’esprit sur le corps. Socrate place l’Âme en amont du corps, et les philosophes remontent la rivière pour atteindre sa source.
Pour Socrate, Dieu est la connaissance globale et la sagesse absolue. Ultimement, pour connaître la Vérité (ce qui est « bien »), il faut se détacher complètement de son corps puisqu’il entrave notre recherche. S’il y a la perfection, il y a aussi, nécessairement, la déchéance, le mal. Et si l’Âme est le contraire de la perfection. Le corps devient la déchéance de l’homme. Alors, on atteint la Vérité lorsqu’on meurt (dans ce qui s’ensuit). Les philosophes de l’époque de Socrate, selon lui, rechercheraient donc la mort, ultimement, c’est leur accomplissement en quelque sorte[1].
Ensuite, les réflexions présocratiques sur la matière remontent à un temps lointain et ont bénéficié de l’apport de plusieurs savants philosophes grecs. Mais pour éviter de retracer son histoire indéfiniment, nous allons limiter notre investigation sur la conception atomiste de Démocrite et celle d’Épicure, car ils représentent tous les deux, une véritable intuition de la science antique sur la science moderne.
De prime abord, Démocrite vit dans l’impensable le possible, à savoir que le vide ou l’absence de matière visible est tout de même existante au même titre que la matière physique observable. À ce propos, il fit le parallèle avec l’atome, qui lui, tout aussi invisible que le vide absolu, représente le plein absolu. Cette affirmation tira du génie et les mathématiciens de l’époque s’en serviront même pour élaborer leurs théories qui traînaient dans l’impasse de l’inexistant, lequel semblait être le maillon inexplicable et pourtant très crucial!
Bref, on en arrive donc ainsi à la théorie de Démocrite. L’hypothèse atomiste de Démocrite ressemble étrangement au modèle contemporain que créa Dalton au 19e siècle. Mais Dalton ne s’inspira pas de Démocrite et il ne faut pas considérer plus loin les liens entre les deux. L’originalité de Démocrite, au 5e siècle avant Jésus-Christ, était d’avoir posé la meilleure théorie de son époque pour résoudre les problèmes qui y avaient court. Ainsi, pour la première fois, Démocrite, pensa que ce qui n’existe pas, existe. Le vide existe donc autant que la matière. Le vide est donc un infini d’étendue et est totalement pénétrable, c’est le vide absolu. Les atomes sont de la même manière, en opposition, un infini de substances, totalement impénétrables, c’est le plein absolu. Démocrate conçoit ainsi les atomes : ce sont des substances solides et uniformes, incréées et éternelles, eux-mêmes incapables de changement, mais qui dans leurs combinaisons et leurs dissolutions variées dans le vite, formaient tout notre monde réel. Démocrate voit les atomes d’une même substance comme étant toutes semblables, mais qu’entre substances, ils différaient par la forme, l’arrangement et la position. C’est ainsi que Démocrite pu, de façon originale, en arriver à l’affirmation de l’existence du vide et à une conception de l’atome lui-même. Mais encore, les découvertes de Démocrite eurent une plus grande importance pour les pythagoriciens. Car là où leur modèle mathématique était limité par un point, les atomes de Démocrite possédaient une masse, étaient spécialement divisibles et physiquement indivisibles. Ainsi, Démocrite venait de fournir aux pythagoriciens la petite brique dont ils avaient besoin pour construire leur édifice mathématique. Le génie de Démocrite énonça aussi la toute première loi de la conservation de la matière et démontre bien le mérite de la puissance de généralisation qu’on peut accorder à la théorie atomiste de Démocrite. « Rien n’est créé à partir de rien », « Toutes les choses qui ont été, qui sont et qui seront, ont été nécessairement pré ordonnées. »
Pour sa part, Épicure reprendra beaucoup de Démocrite. Il énoncera trois principes de la matière dans la Lettre à Hérodote 38-39 : premièrement « rien ne vient du non-être », deuxièmement « si ce qui disparaît aux yeux se résolvait au non-être, toutes les choses auraient péri » et il en découle une troisième « que l’univers a toujours été et sera toujours ce qu’il est ». Pour bien en saisir toute la portée, il faut rappeler que la doctrine d’Épicure ne croit pas que rien ne puisse être créé par opération divine, et il exhorte les hommes à questionner leurs frayeurs mal fondées. Aussi place-t-il la nature comme étant la force de la vie, et c’est pourquoi les substances peuvent se décomposer et se recomposer à l’infini : la nature ne laisse jamais voir aucune fin. Il va même plus loin en disant que les météores, les solstices et toutes les choses du genre sont produits par un être plus grand (Dieu), mais qu’il faut voir ses manifestations comme des actes compris dans un ordre plus grand qui est la nature. Épicure se pose ainsi contre le déterminisme de la nature et contre les causes finales.
En définitive — selon moi, le clivage entre l’esprit et la matière est une grosse illusion qui se perpétue depuis des millénaires : nous somme faits de matières et d’esprit, pas juste l’un ou l’autre, et refuser l’un ou l’autre, c’est ignorer une partie de soi. L’esprit alimente la matière qui en est le support. Et la pensée chinoise m’interpelle beaucoup par le symbole du yin et du yang. C’est le fait que la vie est la coexistence de toutes les valeurs opposées. La joie et la tristesse, le plaisir et la douleur, le haut et le bas, le chaud et le froid, ici et là, la lumière et l’obscurité, l’esprit et la matière, l’âme et le corps, la naissance et la mort. Toute expérience se fait par contraste : l’une n’aurait pas de sens sans l’autre. Nous nous apercevons et constatons qu’il n’y a aucune frontière ou délimitation dans la pensée orientale comparée à l’occident qui est très dualiste et cartésienne (l’on a juste à penser au dualisme de l’esprit et du corps de Descartes). Ainsi donc, sans entrer dans les détails, la conclusion fondamentale à laquelle sont arrivés les théoriciens du champ quantique est que la matière première du monde est immatérielle; la substance essentielle de l’univers est non-substance. Toute notre technologie repose sur ce fait, et c’est ce qui, aujourd’hui, nous mène à un point de renversement de la superstition matérialiste.
Le fax, l’ordinateur, la radio, la télévision – toutes ces technologies sont apparues parce que les scientifiques se sont aperçus que l’atome, unité fondamentale de la matière, n’était pas une entité solide, mais une hiérarchie d’états d’information et d’énergie dans un vide d’états potentiels d’information et d’énergie. Il devient donc évident que non seulement la matière première composant l’univers est non-matière, mais encore que cette non-matière pense. Car une pensée est-elle autre chose qu’une impulsion d’énergie et d’information? La seule différence entre les pensées à l’intérieur et à l’extérieur de notre tête est que nous expérimentons les premières en termes linguistiques. Mais avant qu’une pensée ne soit exprimée verbalement, elle n’est qu’intention, impulsion d’énergie et d’information.
Autrement dit, au stade précédant le verbe, la nature toute entière parle le même langage. C’est-à-dire que nous sommes tous des corps pensants dans un univers pensant!!!
[1] http://www.fjord-best.com/pierrebouch/


