Pensez-vous que les thèses d’Habermas et de Nielsen constituent un renouvellement du marxisme et si oui dans quelle mesure celui-ci a une incidence sur la question de l’idéologie?
De prime abord, pour un héritier du « matérialisme historique » tel que Nielsen sa conception égalitariste radicale constitue un élément essentiel du débat contemporain sur la justice, car elle est une critique à la fois du libertarisme et de l’égalitarisme libéral. Elle reproche à ce dernier de cautionner et d’institutionnaliser l’inégalité en acceptant l’État-providence de la démocratie libérale capitaliste avec ses formes d’exploitation et de transfert de pouvoir. Elle attire l’attention des libertariens sur l’erreur consistant à identifier la société libre à la société capitaliste. Elle soutient que l’option socialiste a raison de s’opposer à une conception de la liberté faite de divisions et de dominations de classes. D’après, Kai Nielsen, l’égalitarisme radical implique la conception d’une société sans classe et sans stratifications sociales, c’est-à-dire sans inégalités fondées sur le rang et la fonction (en similitude comme chez Marx de ‘‘l’État communiste’’ qui sera « la fin des idéologies » et donc « c’est la fin de l’histoire », car ‘‘l’État communiste’’ sera sans classes sociales et l’on aura ainsi plus besoin d’État, car il ne restera que des travailleurs (ouvriers) dans l’État communiste!)
Ensuite, nous savons que la théorie de Kai Nielsen s’inspire de celle de Marx : elle prône la mise en œuvre dans la société de conditions telles que chaque personne ait l’égale possibilité d’avoir une vie qui vaille la peine d’être vécue. Pour ce faire, il faut en premier lieu que chacun voie ses besoins fondamentaux satisfaits, car il apparaît inacceptable que certains s’enrichissent alors que d’autres continuent, par exemple à mourir de faim, que ce soit dans notre voisinage ou dans d’autres parties du monde. Mais il est vrai qu’une redistribution mondiale, qui serait nécessaire pour que tous les êtres humains jouissent des mêmes conditions de base, ne peut être réalisée que dans une société où les ressources ne sont pas trop limitées, où il y a effectivement assez pour tout le monde. Tout compte-fait pour Nielsen : il pense aussi qu’être juste, c’est agir de manière à témoigner de cet intérêt égal pour la vie de chacun, et qu’à ce titre seul l’égalitarisme radical permet de s’approcher de l’idéal de justice donc d’en finir avec l’idéologie. Attacher autant d’importance à sa vie qu’à celle de tout être humain, c’est donc refuser les relations de pouvoir qui, dans le monde actuel, interdisent aux personnes d’avoir des projets de vie égaux, d’avoir une chance égale de se réaliser. Ce point de vue radical est plus proche de celui de Marx que celui des égalitaristes libéraux (comme John Rawls). Et pour finir, pour notre héritier du matérialisme historique et scientifique tel que Nielsen, un changement réel dans les rapports sociaux, nécessaire pour parvenir à l’égalité, suppose une modification de la structure de la société, c’est-à-dire une réforme complète des institutions sociales, amenant l’abolition des classes sociales. Selon lui :
Mon égalitarisme radical, dans sa conception d’une égalité de condition, exige, dans les sociétés de production abondante, une égalité brute des richesses, et avec cela aucun individu n’aura d’une façon institutionnalisée […] plus de pouvoir qu’aucun autre individu, ou de façon telle qu’une classe ou une strate pourrait persister avec le pouvoir de contrôler ou de dominer les autres en rendant impossibles les conditions pour la possibilité de l’autonomie égale. C’est seulement dans une telle conception que mon égalitarisme radical diffère le plus fondamentalement de l’égalitarisme libéral[1].
En ce qui concerne Jürgen Habermas, considéré comme le maître à penser de « la théorie critique » ou dernier héritier vivant de l’École de Francfort, il est devenu le défenseur du consensus politique dans l’Allemagne réunifiée… alors, assurément ses thèses constituent un renouvellement du marxisme et évidemment que cela aura une incidence sur la question de l’idéologie.
Effectivement, nous savons que « l’École de Francfort » est une critique de l’idéologie prédominante alors que jusqu’à récemment, « le débat en philosophie nous semblait à court d’arguments qui lui permettent de voir et d’établir adéquatement le lien entre la question des droits des personnes et la question de la juste répartition des revenus et des richesses. Parmi les questions qui furent soulevées dans le cadre de ces débats, plusieurs seront reliées au fait que les gens qui débattaient de la question des droits de la personne semblaient être prisonniers de deux conceptions distinctes, voire même irréconciliables des droits. Les questions idéologiques, la partisanerie politique et l’absence de débats publics semblaient être à l’origine des difficultés qu’a rencontrées cette question.
Or l’on peut constater cela non pas au XXe siècle seulement, mais aussi dès que celle-ci a été soulevée, c’est-à-dire au début du XIIe siècle avec la Magna Carta. Si l’on s’intéresse à ce débat depuis la Révolution française, on se rend compte que les premières tentatives s’inscrivaient dans la lignée de plusieurs difficultés. Le cas de la « Déclaration de 1789 » est très significatif à cet égard. Les conditions dans lesquelles cette déclaration a été élaborée démontrent comment on s’est retrouvé avec une déclaration quasi-arbitraire…[2] »
Et c’est pour cela qu’il nous paraît possible de concevoir une théorie de la justice distributive en atténuant l’impact des présupposées idéologiques et des partisaneries politiques. Qui plus est, cette théorie devrait être en mesure de résoudre de façon satisfaisante non seulement le problème du conflit entre les droits naturels et les droits sociaux, en ignorant tout simplement cette distinction, mais aussi elle devrait nous permettre d’établir un lien entre la question des droits de la personne et celle de la justice distributive, du moins au niveau du traitement de cette question en philosophie politique. La solution de rechange qui convient le plus ou « est le plus apte » — ce serait l’établissement du lien entre ces deux questions, est à notre avis possible si l’on ignore les conflits entre les différentes idéologies politiques et si l’on fait intervenir la notion Habermassienne de consensus! Voilà ce que nous propose; le maître à penser de « la théorie critique » Habermas, dans lequel les droits sont présentés comme résultant d’un consensus rationnel. Ainsi conçus, les droits peuvent jouer un rôle régulateur homogène dans les conceptions des mécanismes de répartition des biens et ainsi éviter les discordes et idéologies néfastes…
Pensez-vous que la théorie de la justice comme équité de Rawls et sa base contractualiste constituent une solution de rechange valable au problème des inégalités et de la domination de classe?
Tout d’abord, John Rawls (1921-2002) devint célèbre en publiant en 1971, A theory of Justice (théorie de la justice). Rawls veut réussir à fonder une théorie de la justice qui ne présuppose aucune conception préalable du « bien; ne présupposer que la rationalité des individus. La théorie de la justice de Rawls doit être acceptable pour des croyants ou des incroyants; des tenants du civisme ou de l’égoïsme personnel; des partisans du rigorisme moral ou de la tolérance, etc. Il est impossible, même pour des êtres rationnels et raisonnables, de s’entendre sur le bien [Ex. : les guerres de Religion], mais il faut partir de la primauté du juste sur le bien.
Par ailleurs, le choix des principes de justice sociale, qui gouverne les institutions de base d’une société bien ordonnée, doit se faire à partir d’un point de vue qui en garantit le caractère équitable. Ce choix doit se faire dans une situation hypothétique qu’il appelle « position originelle », sorte de remise à jour du contrat social, où les contractants hypothétiques se retrouvent derrière un « voile d’ignorance ». En l’absence de toute information sur leur place dans l’échelle socio-économique, ainsi que dans la distribution des avantages et des désavantages naturels, ces contractants hypothétiques voudront s’assurer que s’ils vivaient en bas de l’échelle sociale, ils seraient néanmoins en mesure de vivre une vie décente. Ils opteront pour la stratégie du maximin, c’est-à-dire de la maximisation du minimum social. Cela ne conduit pas à un égalitarisme strict (comme celui de Nielsen Kai), car dans une société qui permet un partage inégal des richesses matérielles, les plus défavorisés obtiendront plus dans une société de l’abondance que dans une société qui impose un égalitarisme strict dans le partage des richesses matérielles. Ce que j’ignore sous le voile de l’ignorance : mes goûts, mes aptitudes, ma position dans la société, mes caractéristiques physiques. Ce que je connais sous le voile d’ignorance : ce sont les règles générales de la psychologie et du fonctionnement social et l’importance des biens premiers. Le voile d’ignorance interdit aux contractants d’imposer une forme de société plus conforme à leurs « intérêts » puisqu’ils ignorent quels seront leurs intérêts. Le voile d’ignorance est un dispositif destiné à figurer l’impartialité : je dois décider quelle société je veux, sachant que je peux occuper n’importe quelle place.
Et pour finir, je pense que la théorie de la justice comme équité de Rawls et sa base contractualiste constituent une solution de rechange valable au problème des inégalités et de la domination de classe parce que pour ‘‘l’Égalitarisme Libéral’’ de Rawls — il nous faudra mettre en œuvre : – Deux principes qui serviront à gérer le fonctionnement des institutions de base d’une société juste : le premier principe attribue à chaque individu le domaine le plus étendu de liberté civile et politique qui soit compatible avec un égal domaine pour touts les autres; le second principe assure que les inégalités matérielles ne seront tolérées que dans la mesure où elles bénéficient aux personnes les plus défavorisées, et que les inégalités matérielles soient liées à des positions sociales accessibles à tous selon le principe de l’égalité des chances. Le principe d’égale liberté est prioritaire sur les deux autres et le principe d’égalité des chances est prioritaire sur le principe de différence. « Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions : elles doivent être liées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions d’égalité équitable des chances; elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. [3]» Ces principes doivent être justifiés non seulement sous le voile d’ignorance [pour l’équité], mais aussi selon un équilibre réflexif : concrètement applicable et en accord avec la majorité de ce que pensent les gens qui y réfléchissent… alors dans ce cas-là, même le plus mal loti acceptera le pouvoir, car il sait qu’il bénéficiera des revenus générés par les inégalités. Et à l’inverse, le plus favorisé sait que si ses ressources sont réduites, il bénéficie de la coopération des plus faibles non disposés à commencer une guerre civile. On crée ainsi une social-démocratie où le marché est encadré et contrôlé. Bref, dans ce nouveau contrat social, des relations entre des groupes inégaux peuvent exister, mais sous le signe du respect mutuel.
[1] ÉTHIQUE – Histoire, politique, application par André Duhamel et Noureddine Mouelhi aux éditions Gaëtan Morin à la page 140.
[2] Voir “Les droits de la personne et l’éthique de la discussion” de Noureddine Mouelhi à la page 94 et suivantes du Département de philosophie – Université de Québec à Montréal.
[3] ÉTHIQUE – Histoire, politique, application par André Duhamel et Noureddine Mouelhi aux éditions Gaëtan Morin à la page 93& 94.
De prime abord, pour un héritier du « matérialisme historique » tel que Nielsen sa conception égalitariste radicale constitue un élément essentiel du débat contemporain sur la justice, car elle est une critique à la fois du libertarisme et de l’égalitarisme libéral. Elle reproche à ce dernier de cautionner et d’institutionnaliser l’inégalité en acceptant l’État-providence de la démocratie libérale capitaliste avec ses formes d’exploitation et de transfert de pouvoir. Elle attire l’attention des libertariens sur l’erreur consistant à identifier la société libre à la société capitaliste. Elle soutient que l’option socialiste a raison de s’opposer à une conception de la liberté faite de divisions et de dominations de classes. D’après, Kai Nielsen, l’égalitarisme radical implique la conception d’une société sans classe et sans stratifications sociales, c’est-à-dire sans inégalités fondées sur le rang et la fonction (en similitude comme chez Marx de ‘‘l’État communiste’’ qui sera « la fin des idéologies » et donc « c’est la fin de l’histoire », car ‘‘l’État communiste’’ sera sans classes sociales et l’on aura ainsi plus besoin d’État, car il ne restera que des travailleurs (ouvriers) dans l’État communiste!)
Ensuite, nous savons que la théorie de Kai Nielsen s’inspire de celle de Marx : elle prône la mise en œuvre dans la société de conditions telles que chaque personne ait l’égale possibilité d’avoir une vie qui vaille la peine d’être vécue. Pour ce faire, il faut en premier lieu que chacun voie ses besoins fondamentaux satisfaits, car il apparaît inacceptable que certains s’enrichissent alors que d’autres continuent, par exemple à mourir de faim, que ce soit dans notre voisinage ou dans d’autres parties du monde. Mais il est vrai qu’une redistribution mondiale, qui serait nécessaire pour que tous les êtres humains jouissent des mêmes conditions de base, ne peut être réalisée que dans une société où les ressources ne sont pas trop limitées, où il y a effectivement assez pour tout le monde. Tout compte-fait pour Nielsen : il pense aussi qu’être juste, c’est agir de manière à témoigner de cet intérêt égal pour la vie de chacun, et qu’à ce titre seul l’égalitarisme radical permet de s’approcher de l’idéal de justice donc d’en finir avec l’idéologie. Attacher autant d’importance à sa vie qu’à celle de tout être humain, c’est donc refuser les relations de pouvoir qui, dans le monde actuel, interdisent aux personnes d’avoir des projets de vie égaux, d’avoir une chance égale de se réaliser. Ce point de vue radical est plus proche de celui de Marx que celui des égalitaristes libéraux (comme John Rawls). Et pour finir, pour notre héritier du matérialisme historique et scientifique tel que Nielsen, un changement réel dans les rapports sociaux, nécessaire pour parvenir à l’égalité, suppose une modification de la structure de la société, c’est-à-dire une réforme complète des institutions sociales, amenant l’abolition des classes sociales. Selon lui :
Mon égalitarisme radical, dans sa conception d’une égalité de condition, exige, dans les sociétés de production abondante, une égalité brute des richesses, et avec cela aucun individu n’aura d’une façon institutionnalisée […] plus de pouvoir qu’aucun autre individu, ou de façon telle qu’une classe ou une strate pourrait persister avec le pouvoir de contrôler ou de dominer les autres en rendant impossibles les conditions pour la possibilité de l’autonomie égale. C’est seulement dans une telle conception que mon égalitarisme radical diffère le plus fondamentalement de l’égalitarisme libéral[1].
En ce qui concerne Jürgen Habermas, considéré comme le maître à penser de « la théorie critique » ou dernier héritier vivant de l’École de Francfort, il est devenu le défenseur du consensus politique dans l’Allemagne réunifiée… alors, assurément ses thèses constituent un renouvellement du marxisme et évidemment que cela aura une incidence sur la question de l’idéologie.
Effectivement, nous savons que « l’École de Francfort » est une critique de l’idéologie prédominante alors que jusqu’à récemment, « le débat en philosophie nous semblait à court d’arguments qui lui permettent de voir et d’établir adéquatement le lien entre la question des droits des personnes et la question de la juste répartition des revenus et des richesses. Parmi les questions qui furent soulevées dans le cadre de ces débats, plusieurs seront reliées au fait que les gens qui débattaient de la question des droits de la personne semblaient être prisonniers de deux conceptions distinctes, voire même irréconciliables des droits. Les questions idéologiques, la partisanerie politique et l’absence de débats publics semblaient être à l’origine des difficultés qu’a rencontrées cette question.
Or l’on peut constater cela non pas au XXe siècle seulement, mais aussi dès que celle-ci a été soulevée, c’est-à-dire au début du XIIe siècle avec la Magna Carta. Si l’on s’intéresse à ce débat depuis la Révolution française, on se rend compte que les premières tentatives s’inscrivaient dans la lignée de plusieurs difficultés. Le cas de la « Déclaration de 1789 » est très significatif à cet égard. Les conditions dans lesquelles cette déclaration a été élaborée démontrent comment on s’est retrouvé avec une déclaration quasi-arbitraire…[2] »
Et c’est pour cela qu’il nous paraît possible de concevoir une théorie de la justice distributive en atténuant l’impact des présupposées idéologiques et des partisaneries politiques. Qui plus est, cette théorie devrait être en mesure de résoudre de façon satisfaisante non seulement le problème du conflit entre les droits naturels et les droits sociaux, en ignorant tout simplement cette distinction, mais aussi elle devrait nous permettre d’établir un lien entre la question des droits de la personne et celle de la justice distributive, du moins au niveau du traitement de cette question en philosophie politique. La solution de rechange qui convient le plus ou « est le plus apte » — ce serait l’établissement du lien entre ces deux questions, est à notre avis possible si l’on ignore les conflits entre les différentes idéologies politiques et si l’on fait intervenir la notion Habermassienne de consensus! Voilà ce que nous propose; le maître à penser de « la théorie critique » Habermas, dans lequel les droits sont présentés comme résultant d’un consensus rationnel. Ainsi conçus, les droits peuvent jouer un rôle régulateur homogène dans les conceptions des mécanismes de répartition des biens et ainsi éviter les discordes et idéologies néfastes…
Pensez-vous que la théorie de la justice comme équité de Rawls et sa base contractualiste constituent une solution de rechange valable au problème des inégalités et de la domination de classe?
Tout d’abord, John Rawls (1921-2002) devint célèbre en publiant en 1971, A theory of Justice (théorie de la justice). Rawls veut réussir à fonder une théorie de la justice qui ne présuppose aucune conception préalable du « bien; ne présupposer que la rationalité des individus. La théorie de la justice de Rawls doit être acceptable pour des croyants ou des incroyants; des tenants du civisme ou de l’égoïsme personnel; des partisans du rigorisme moral ou de la tolérance, etc. Il est impossible, même pour des êtres rationnels et raisonnables, de s’entendre sur le bien [Ex. : les guerres de Religion], mais il faut partir de la primauté du juste sur le bien.
Par ailleurs, le choix des principes de justice sociale, qui gouverne les institutions de base d’une société bien ordonnée, doit se faire à partir d’un point de vue qui en garantit le caractère équitable. Ce choix doit se faire dans une situation hypothétique qu’il appelle « position originelle », sorte de remise à jour du contrat social, où les contractants hypothétiques se retrouvent derrière un « voile d’ignorance ». En l’absence de toute information sur leur place dans l’échelle socio-économique, ainsi que dans la distribution des avantages et des désavantages naturels, ces contractants hypothétiques voudront s’assurer que s’ils vivaient en bas de l’échelle sociale, ils seraient néanmoins en mesure de vivre une vie décente. Ils opteront pour la stratégie du maximin, c’est-à-dire de la maximisation du minimum social. Cela ne conduit pas à un égalitarisme strict (comme celui de Nielsen Kai), car dans une société qui permet un partage inégal des richesses matérielles, les plus défavorisés obtiendront plus dans une société de l’abondance que dans une société qui impose un égalitarisme strict dans le partage des richesses matérielles. Ce que j’ignore sous le voile de l’ignorance : mes goûts, mes aptitudes, ma position dans la société, mes caractéristiques physiques. Ce que je connais sous le voile d’ignorance : ce sont les règles générales de la psychologie et du fonctionnement social et l’importance des biens premiers. Le voile d’ignorance interdit aux contractants d’imposer une forme de société plus conforme à leurs « intérêts » puisqu’ils ignorent quels seront leurs intérêts. Le voile d’ignorance est un dispositif destiné à figurer l’impartialité : je dois décider quelle société je veux, sachant que je peux occuper n’importe quelle place.
Et pour finir, je pense que la théorie de la justice comme équité de Rawls et sa base contractualiste constituent une solution de rechange valable au problème des inégalités et de la domination de classe parce que pour ‘‘l’Égalitarisme Libéral’’ de Rawls — il nous faudra mettre en œuvre : – Deux principes qui serviront à gérer le fonctionnement des institutions de base d’une société juste : le premier principe attribue à chaque individu le domaine le plus étendu de liberté civile et politique qui soit compatible avec un égal domaine pour touts les autres; le second principe assure que les inégalités matérielles ne seront tolérées que dans la mesure où elles bénéficient aux personnes les plus défavorisées, et que les inégalités matérielles soient liées à des positions sociales accessibles à tous selon le principe de l’égalité des chances. Le principe d’égale liberté est prioritaire sur les deux autres et le principe d’égalité des chances est prioritaire sur le principe de différence. « Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions : elles doivent être liées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions d’égalité équitable des chances; elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. [3]» Ces principes doivent être justifiés non seulement sous le voile d’ignorance [pour l’équité], mais aussi selon un équilibre réflexif : concrètement applicable et en accord avec la majorité de ce que pensent les gens qui y réfléchissent… alors dans ce cas-là, même le plus mal loti acceptera le pouvoir, car il sait qu’il bénéficiera des revenus générés par les inégalités. Et à l’inverse, le plus favorisé sait que si ses ressources sont réduites, il bénéficie de la coopération des plus faibles non disposés à commencer une guerre civile. On crée ainsi une social-démocratie où le marché est encadré et contrôlé. Bref, dans ce nouveau contrat social, des relations entre des groupes inégaux peuvent exister, mais sous le signe du respect mutuel.
[1] ÉTHIQUE – Histoire, politique, application par André Duhamel et Noureddine Mouelhi aux éditions Gaëtan Morin à la page 140.
[2] Voir “Les droits de la personne et l’éthique de la discussion” de Noureddine Mouelhi à la page 94 et suivantes du Département de philosophie – Université de Québec à Montréal.
[3] ÉTHIQUE – Histoire, politique, application par André Duhamel et Noureddine Mouelhi aux éditions Gaëtan Morin à la page 93& 94.
