vendredi, mars 23, 2007

CHARLES SANDERS PEIRCE


Qu’est-ce qu’une théorie de la signification?

De prime abord, nous constatons que les philosophie contemporaines ont mis de l’avant une thématique importante : celle de la signification. C’est là une thématique philosophique relativement moderne… qui fut originellement posé par Saint Augustin et ultérieurement par l’École de Port-Royal, mais sa présence soutenue apparaît surtout avec Dilthey et Frege. Depuis cette époque, surtout lorsqu’elle intègre la question du langage, elle est devenue un foyer important de la réflexion philosophique contemporaine. D’ailleurs, nous allons mettre l’emphase sur l’analyse pragmatique de la Fondation sémiotique de Charles Peirce (la triadicité pragmatique) tout en faisant des corrélations avec d’autres philosophes pour essayer de clarifier la problématique de : Qu’est-ce qu’une théorie de la signification?


En effet, depuis les origines de la philosophie occidentale, et plus particulièrement encore, depuis la philosophie du Moyen Âge et de la Renaissance… on a toujours défini la relation signifiante en termes de trois concepts, c’est-à-dire que le signe relie toujours une « réalité », un « référent » et une « idée ». Les termes varieront, selon les auteurs, et le contenu de chacun de ces concepts aussi, mais tous reconnaîtront la nécessité de trois composantes. Peirce sera celui qui cernera le mieux cette triadicité. Il définira le signe comme une relation entre un objet, un representamen, et un interprétant :

Un signe, ou representamen, est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre s’adresse à quelqu’un, c’est-à-dire crée dans l’esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Ce signe qu’il crée, je l’appelle l’interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous les rapports, mais par référence à une sorte d’idée que j’ai appelée quelquefois le fondement (ground) du representamen. (Peirce CP, 2,228 [1])

  1. representamen
  2. interprétant
  3. objet



    Cette conception diverge considérablement de celle proposée par Saussure [qui lui soutient que le langage est une faculté d’utiliser la langue puisque la langue est un système de signes — que la parole : c’est les énoncés des locuteurs et que la structure contient les principes de différences, car l’on définit le signe par l’ensemble des connexions de signifiant et signifié] et pour finir, la conception la plus classique de la structure du signe est dyadique… l’on retrouve celle-ci défendue par Saussure dans son opposition entre le signifiant et le signifié. En effet, pour Saussure, le signe est une relation entre d’une part le signifié et d’autre part le signifiant, ce qui est classiquement représenté par signifiant versus signifié. Mais cette opposition fondamentale du signifiant et du signifié n’est pas la seule structure dyadique ou binaire que proposera Saussure pour exprimer la structure du signe. Ce modèle, on le sait, se retrouvera au cœur de tout le courant structuraliste contemporain. En somme, dans la perspective saussurienne, un signe linguistique opère de manière structurale. Il ne peut posséder une signification indépendamment du réseau des autres termes dans lequel il circule.
    Bref, pour revenir à Peirce : sa thèse de la triadicité du signe est de nature cognitive et métaphysique. Cette conception n’est pas identique à celle proposée précédemment par Saussure. Le signe est ici une mise en relation entre un agent cognitif qui se construit un interprétant pour que le representamen soit substituable à l’objet. Cette relation existe toujours sous un certain aspect pour quelqu’un selon ses « capacités ». Tâchons d’étudier le signe sous l’angle du représentamen, de l’objet et de l’interprétant.

    DÉFINITION DE REPRÉSENTAMEN : Tout signe est représentamen mais tout représentamen n’est pas signe.

    Le signe représentamen est le signe en tant qu’il détermine un interprétant qui renvoi ou réfère à un objet. (Peirce 2. 228)
    « Un representamen est le sujet d’une relation triadique avec un second appelé son objet, pour un troisième appelé son interprétant, cette relation triadique étant telle que le représentamen détermine son interprétant à entretenir la même relation triadique avec le même objet pour quelque interprétant » (Peirce…541).


    Le representamen n’est pas l’occurrence d’un signe particulier. Il est quelque chose comme son type. Par exemple, dans la phrase Le chien est le meilleur ami de l’homme, il y a deux occurrences de Le, mais les deux sont un même représentamen. En ce sens, le representamen peut s’instancier dans plusieurs occurrences : il est quelque chose d’abstrait ou de général. Mais c’est le représentamen qui détermine l’interprétant qui lui est associé.

    En ce qui concerne l’OBJET : C’est la fonction même du signe d’être lié à un objet. Celui-ci est le corrélat. Il lui est donc lié ou déterminé.

    « Tout représentamen se rapporte ou peut se rapporter à une chose qui lui répond, son objet, et qu’on peut appeler sa signification » (Peirce 5.138)

    Le concept d’objet demeure évidemment proche du concept de référent classique, comme le dit bien Peirce lui-même: A sign is « anything which determines something else (its interpretant) to refer to an objet to which it refers (its object) in the same way, the interpretant becoming in turn a sign, and so and infinitum « Peirce 1901: 2 : 203)

    Mais il s’en distingue en ce qu’il est plus générique. Il est comme nous l’avons dit le corrélat du signe…Et, pour résumer : Tout objet, possède trois dimensions :

    ► Sa pure possibilité (priméité)
    ► Sa réalisation effective (secondeité)
    ► La règle qui le gouverne (tercéité)

    « L’homme pense par signes. La seule pensée que nous connaissons est la pensée par signes; elle existe nécessairement dans les signes; mieux, elle est signes. Selon Peirce, « il est erroné de dire simplement qu’un bon langage est nécessaire pour bien penser, car il est l’essence même de la pensée ». Or il n’y a pas de signe en soi, et par nature, mais toute chose, et tout aspect d’une chose peut devenir signe. Devenir signe, c’est-à-dire entrer dans le processus triadique de la semiosis. En ce sens, la sémiotique n’est pas la science des signes, mais la science de la semiosis. Une des propriétés du signe est de toujours renvoyer à un autre signe. Ainsi la pensée est-elle elle-même un signe, qui renvoie à une autre pensée, laquelle est son signe interprétant. Ce dernier renvoie encore à une autre pensée qui l’interprète, en un processus continu et indéfini. L’homme lui-même est un signe. Quand nous pensons, nous sommes signes. A la limite, la possession d’un corps n’est qu’une partie de la qualité matérielle de l’homme-signe. [2]»
    Et pour finir, penser et signifier sont la même chose…Pour notre fameux philosophe Peirce, parce que l’homme est un signe, « l’homme est un animal symbolique » qui vit nécessairement en communauté, et je partage définitivement cette conception — « d’animal symbolique qui vit en communauté!» alors pour récapituler le langage est conçu comme un ensemble intersubjectif de signes dont l’usage est déterminé par des règles.
    Elle concerne «l’ensemble des conditions de possibilité du discours». Comment le point de vue pragmatique est-il apparu ? L’étude des signes et du langage au XXe siècle s’est distribuée de la manière suivante : - l’approche sémantique traite de la relation des signes, mots et phrases aux choses et aux états de choses ; c’est l’étude conjointe du sens, de la référence et de la vérité. – l’approche syntaxique étudie les relations des signes entre eux, des mots dans la phrase ou des phrases dans les séquences de phrases ; on cherche à formuler des règles de bonne formation pour les expressions, et des règles de transformations des expressions en d’autres expressions ; le respect de ces règles est une condition pour que les fragments ainsi générés soient pourvus de sens, et, éventuellement, aptes à être doués d’une valeur de vérité (vrai ou faux). Or ces deux approches, les premières constituées en disciplines rigoureuses, n’épuisent ni le problème du sens ni le problème de la vérité. Une troisième approche est nécessaire : pragmatique. Elle intervient pour étudier la relation des signes aux usagers des signes, des phrases aux locuteurs.
    Les concepts les plus importants de la pragmatique ? Ce sont justement des concepts qui étaient jusqu’ici absents de la philosophie du langage et de la linguistique. Tout compte fait aucune philosophie du langage n’échappe à la problématique du « sens » ou de la « signification » (en anglais : meaning ; en allemand Sinn). Néanmoins, bien que les philosophes utilisent ces mêmes termes de « signification »/« sens », le concept qu’ils sous-entendent et surtout les relations qu’ils entretiennent à la problématique sont des plus divergents. Parmi eux, (Wittgenstein, Husserl, Russell, Carnap, etc.) la signification se présente sous l’angle du contenu du langage : elle croise ainsi le problème des idées et du monde. Pour d’autres, (Grice, Austin, Habermas, etc.), elle s’étudie sous l’angle de l’intention et de l’action. Signifier quelque chose est toujours relatif à une action effectuée avec une intention. Enfin, pour d’autres encore (Heidegger, Gadamer, etc.), le sens est ce qui advient dans la compréhension du monde par l’homme. En somme, malgré cette divergence dans la thématique, cette question de la signification apparaît toujours au sein d’une relation de l’homme au monde. Pour les uns, le sens est lié à l’agir pratique sur le monde ; pour les autres, il est lié à l’agir cognitif sur ce monde. La question de la signification débouche autant sur la science que sur l’éthique, l’esthétique et la politique. Le langage est action de communication et instaurateur de sens, tant dans le savoir que dans l’agir. Nous affirmons : « que l’action dévoile son sens dans le langage, ou à l’inverse que le langage révèle le sens dans l’action. Qui plus est, il n’y aurait pas d’action sans langage ![3] »
    [1] (Pierce : collected Paper for Sanders Peirce. Vol 2 Cambridge Mass: Harvard University Press. 1960 228).
    [2] QUE SAIS-JE ? LA PRAGMATIQUE de Françoise Armengaud au Presses Universitaire de France, 1985, à la page 19.
    [3] De notre «COMPENDIUM de recherche et d’essais» de Jean-Guy Meunier, Partie 1 : L’action langagière p.29 du cours PHI 1004 version septembre 2006.